Pomme golden a écrit:@ MasterRat :
Pour ce qui concerne feu John Mack, je fais confiance en son jugement lorsqu'il disait que les victimes d'abductions vivaient réellement quelque chose et que cela engendrait des symptômes ( et non des symptômes qui engendrent des expériences, petite précision qui a son importance je trouve ).
Oui, et c'est justement là que je ne peux te suivre. Si l'on ne vient au CV de Mack, on trouvera cette fameuse accréditation du Boston Psychoanalytic Society and Institute. Et la psychanalyse, contrairement à la psychiatrie, ou à la psychologie, n'est pas reconnue comme une science. Une science à pour caractéristique de poser la recherche de la vérité comme centrale dans sa démarche. La psychanalyse, dès ses débuts avec Freud, n'a jamais eu pour grand souci de fonder ses interprétations et ces catégories d'analyse sur des vérifications empiriques. La psychanalyse est une thérapie, mais pas une thérapie fondée sur la science.
Il s'agit plutôt d'une démarche herméneutique (cf. Paul Ricoeur), c'est-à-dire une démarche qui cherche à fournir un sens aux troubles psychiques des patients. Il s'agit d'élaborer une histoire pour rendre compte de ce qui arrive au patient et lui permettre de mieux maîtriser ses troubles. On peut fonder cette création narrative soit 1) sur des connaissances scientifiques (c'est une partie du travail des psychothérapeutes, des spécialistes des troubles anxieux aux addictologues, en passant par les spécialistes des troubles du sommeil), 2) soit sur un travail d'élaboration narrative avec le patient. Dans le second cas, la vérité (du moins dans le sens scientifique du terme) n'est franchement pas centrale pour la thérapie. Il s'agit plutôt de trouver une histoire qui réconfortera le patient (un effet non-spécifique ou placebo pour parler clairement), quand le seul fait que le psychanalyste s'occupe du patient n'est tout simplement pas le seule chose qui compte. Donner un peu d'attention aux gens peu résoudre pas mal de soucis, surtout si le reste de la société les considère comme fous (la folie n'étant d'ailleurs pas une catégorie d'analyse sceptique, en passant).
Et dans le jeu qui consiste à choisir une approche ou l'autre, Mack me semble constamment tiraillé entre les deux extrêmes, et incapable de réaliser une synthèse. Il y a des textes ou il semble vouloir se rattacher à la science, et ou il reste neutre quant à l'origine objective des troubles des patients qui se disent abductés :
"What are the other possibilities? Dreams, for instance, do not behave like that. They are highly individual depending on what's going on in your sub-conscious at the time. [...] I would never say, yes, there are aliens taking people. [But] I would say there is a compelling powerful phenomenon here that I can't account for in any other way, that's mysterious. Yet I can't know what it is but it seems to me that it invites a deeper, further inquiry." (emphase rajoutée)
Propos rapportés par Angela Hind
De l'autre côté, opposé, il y le John Mack qui souhaite briser les paradigmes sociétaux (pas seulement scientifiques) établis, c'est-à-dire rejeter ou déconstruire les fondements de nos connaissances. Et là, il va vraiment très loin. Il y a des moments ou il voit la rencontre des abudctés avec les ET comme une sorte d'épiphanie, ou une expension du champ de consience :
Another important feature might be called consciousness expansion, or spiritual transformation, which grows out of the acknowledgment of this other reality. In other words, the trauma is one thing, but more fundamental is that the experiencer acknowledges that these beings are real. This has a tendency to, as one man put it to me recently, "bring me to my knees."
Interview par David Jay
Ici la déconstruction va très très loin. La notion de vérité est totalement abandonnée pour laisser la place à une forme d'expérience religieuse. C'est la révélation (dans un sens religieux) par le sujet que l'expérience est réelle et qu'elle le transforme. Il ne s'agit plus de vérité, mais bien de révélation religieuse, qui ne se justifie pas rationnellement mais est une forme de foi. Il ne faut pas chercher à savoir si l'expérience est réelle, mais simplement l'accepter en tant que transformation.
Le tout est lié avec des réflexions sur l'écologie, la paix et la guerre, un confrontation avec nous même, etc... Dans la même interview Mack nous dit :
Another common feature is some kind of mind-to-mind telepathic communication, which is a kind of confrontation with ourselves. In other words, people are confronted with the fate of the earth. They're shown scenes of the destruction of the earth, or apocalyptic images of portions of the earth being destroyed, and are told that the world can not go on in the way that we're living on it-- treating the planet like it belongs to our species alone. So there's this strong kind of confrontation with ourselves. Now, of course, there's controversy around that.
Mack était également engagé dans le mouvement de la 'psychologie transpersonelle', une approche qui affirme entre autre aller au-delà du rationnel, et atteindre un niveau suprasensoriel de 'mentation' (en anglais, si quelque un veut se dévouer pour trouver une traduction en français... mentalisation?). Cette approche se fonde entre autre sur des mysticismes religieux comme la Kabbale judaïque, l'Unio Mystica chrétienne, ou le Satori du Bouddhisme zen. On y trouve des méthodes portant le nom de 'healing trance dance' ou autre. Veronica Goodshild, une transpersonaliste liée au J.E. Mack Insitute, expliquait en ses termes la vision du réel et de la 'vérité' pour cette approche :
In Sufi mysticism, for example, some visionary states were thought to be “really real”; these landscapes were called the mundus imaginalis, and were clearly distinguished from fantasy, meaning unreal, states.
Dans un article ou il tente de lier le sujet des abduction avec les méthodes de la psychologie transpersonelle, Mack nous parle comme exemple de ses propres expérience avec Grof, de sessions d'analyse en groupe avec du LSD :
During that session, in which two Soviets were also participating, I had my own introduction to the transpersonal realms of the unconsciousness, namely, a powerful experience of identification with a person, other being, object in nature, or force that lay outside of my personal history. I “became” a Russian father (in what seemed to be the 15th century) who was unable to protect his four-year-old son from being beheaded by the Mongols.
John E. Mack (1993), Chapter 16: Non-Ordinary States of Consciousness and the Accessing of Feelings, in Ablon, Steven; Brown, Daniel; Khantzian, Edward J., and Mack, John E., Human Feelings: Explorations in Affect Development and Meaning, The Analytic Press, at 357-371. Accessible ici .
Quand Mack parle de mémoire retrouvée, il parle de ce genre de phénomène. Il confond une mémoire réelle (parfois transpersonnelle... d'une autre personne donc!) avec une reconstruction narrative sous LSD (ou par d'autre moyens qui vont au delà des méthode d'hypnoses ou d'interprétation classique à la Freud, puisque c'est en cela que consiste le credo de la psychologie transpersonnelle). Où plutôt, l'idée de mémoire réelle ou vraie au sens rationnel du terme est oubliée, il s'agit d'une extension du champ de conscience, d'une espèce de communion des esprits à la sauce... heu, New Age? Il ne s'agit plus de rechercher la vérité, tout est révélation, et fusion dans une espère de grande spiritualité/conscience collective.
[...] the transpersonal realms of the unconsciousness, namely, a powerful experience of identification with a person, other being, object in nature, or force that lay outside of my personal history.
A un moment, Mack parle même de la conscience comme origine ou créatrice de la matière. Là ce n'est plus simplement spéculatif, c'est du mysticisme pur et simple. Out le monisme physicaliste, c'est la conscience qui est première. Pourquoi pas, mais on peut difficilement faire plus gratuit... Ce n'est même pas neuf, l'inconscient collectif et la synchronicité, s'était déjà CJ Jung et W. Pauli (pour citer les thèse les moins ésotériques de Jung).
Tout ça pour revenir à ma question de départ. Qu'est-ce qui te permet de donner autant de crédit à John Mack? Si tu interprètes ces écrits 'rationalistes' tu dois comme lui reconnaître que les cas d'abductions, malgré leur caractère humain très prenant et bouleversant, ne suggèrent d'aucune manière rationnelle que ce soit l'HET. J'insiste sur ce point. Pour croire avec lui aux ET, il faut faire le grand saut vers une
expérience extension de la conscience. C'est son seul véritable argument.
Quand Mack parle d'un "compelling powerful phenomenon", c'est dans la perspective 'transpersonaliste' qu'il existe quelque chose d'important, sinon pour le vécu du patient lui-même. Mais en aucun cas Mack n'essaie de nous dire "J'ai l'intime conviction raisonnée que ces gens ont été enlevés par des ETs, je manque juste d'éléments matériels pour faire éclater la vérité. Mais croyez-en ma longue expérience d'expert psychologue de pointe dans un Hopital réputé." Il nous dit plutôt "J'ai ressenti l'expérience de ces gens avec une telle intensité et une telle force spirituelle que la réalité d'une intelligence supérieure, apportant notre salut, s'est soudainement révélée comme évidente et porteuse d'une conscience nouvelle dans mon esprit." Je vais essayer d'être clair. Il ne s'agit pas (ici du moins) de critiquer les approches spiritualistes, mais il me semble que ce genre d'arguments n'entre pas dans le termes de notre discussion sur les abduction. Je ne pense pas que tu souhaitais faire référence à ce genre d'argument en citant Mack comme une autorité.
En un sens, et pour conclure (ouf?), le cas Mack est à rapprocher des cas Edgar Mitchell, ou Paul Hellyer. L'argument d'autorité n'est pas recevable dans tous ces cas. Les experts cités ne parlent pas en tant qu'experts (astronaute du projet Appolo, ministre de la défense canadien, ou médecin) mais en tant que paranormaliste, exopoliticien, ou humaniste New Age. Il n'est pas interdit de s'engager sur cette voie, mais qu'on ne vienne pas nous parler d'expert ou d'argument rationnels. C'est une prise de position spirituelle ou religieuse, rien d'autre.