Les témoignages analysés ici sont issus d’un vaste débat cherchant à établir la validité
ou la non validité des “parasciences”. Au sein de ce vaste champ des “parasciences”,
on peut distinguer trois grandes catégories de disciplines : les “mancies” (ou systèmes
divinatoires), les médecines parallèles et le paranormal.
Alors que, pour les “mancies” ou les médecines parallèles, le débat tourne autour de
l’affirmation “ça marche”, dans le domaine du paranormal, l’assertion discutée est “ça
existe” (et, dans certains cas, “ça m’est arrivé”).
L'établissement d'un certain nombre de phénomènes paranormaux dépend presque
exclusivement de témoignages, les expérimentations instrumentalisées en laboratoire
étant difficiles, voire impossibles : c'est le cas des apparitions d'ovnis, des expériences de
décorporation, de communication avec l'au-delà... Pour leurs défenseurs, il s'agit soit
d'expériences intérieures, dont seul celui qui les vit pourrait témoigner, soit
d'événements qui se produiraient spontanément, de façon imprévisible, et qui ne
dureraient pas suffisamment longtemps pour faire l'objet d'une analyse “scientifique”.
On l’a dit, les théories de l’argumentation font dépendre la validité du témoignage de
celle du témoin ; et la réfutation la plus naturelle d'un témoignage est une réfutation ad
hominem, qui fait dépendre la crédibilité du récit de celle de son auteur. De façon
prévisible, les contestations les plus fréquentes d’un témoignage sur le paranormal
sont donc :
— la mise en cause de l'honnêteté du témoin. Le témoin a volontairement menti ou
travesti les faits, pour diverses raisons (il voulait se “faire mousser”, il était payé pour ça,
son récit contribuait d'une façon ou d'une autre à la réalisation d'un objectif
personnel...) ;
— la mise en cause de ses capacités de discernement, de façon ponctuelle (le témoin
était ivre lorsque le phénomène s'est produit, ou particulièrement ému, ou il désirait
fortement que le phénomène se produise) ou de façon permanente (le témoin ne dispose
pas de toutes ses capacités intellectuelles, il est particulièrement impressionnable, il est
myope...).
De plus, les témoignages considérés ici portent sur des phénomènes paranormaux, donc
“extra-ordinaires”. Et plus le récit est incroyable, plus il est tentant de mettre en doute
la fiabilité du témoin. Évoquant les travaux de Jefferson sur les récits produits par les
témoins de détournements d’avion, Wooffitt souligne l’effort produit par les locuteurs
pour afficher leur “normalité” (1992, 78). Et si l’incrédulité qui accueille de tels
témoignages est forte (alors que l’on sait que des événements comme les détournements
d’avion, bien que statistiquement improbables, existent), les récits relatant des
phénomènes paranormaux (dont l’existence même est contestée) risquent de provoquer
un rejet encore plus fort.
On peut donc s'attendre à ce que les témoins anticipent sur les réfutations à venir, et
assortissent leurs témoignages de figures d'occupations visant à prévenir de prévisibles
objections. Ces anticipations révèlent ce qui, pour les locuteurs, constitue les conditions
de recevabilité d’un témoignage sur le paranormal.
4
3.2. Procédés de crédibilisation des témoignages
Les procédés de crédibilisation qui sont à l’oeuvre dans les témoignages cherchant à
établir l’existence de phénomènes paranormaux font écho aux conditions de validité
d’un témoignage établies par les juristes ou les théoriciens de l’argumentation.
— témoins privilégiés
Dans un cadre médiatique, c’est souvent à l’animateur de poser la crédibilité des — témoins privilégiés
Dans un cadre médiatique, c’est souvent à l’animateur de poser la crédibilité des
locuteurs qu’il appelle à témoigner. L’animateur s’appuie parfois sur l’appartenance du
locuteur à un corps de métier (et aux stéréotypes qui lui sont associés) pour lui conférer
un statut de témoin privilégié. C'est le cas par exemple dans cette interview d'un officier
de police lors de l'émission « Mystères » du 8 juillet 1992 :
Alexandre Baloud : Euh, dites-moi... Vous êtes policier depuis un certain temps ; un policier, c'est
quelqu'un qui a la tête sur les épaules ; vous n'avez jamais eu à connaître au cours de votre carrière
d'histoire de ce genre ?
Le brigadier Piette : C'était la première fois.
(« Mystères » du 08/07/1992, TF1)
C'est aussi le cas dans les exemples suivants, où Patrick Poivre d'Arvor met en avant le
statut de journaliste de ses invités pour authentifier leur témoignage :
Patrick Poivre-d’Arvor à Jean-Yves Casgha : Alors comme vous êtes journaliste, que vous avez
besoin comme nous tous de toucher avant de… de raconter, eh ben vous êtes allé le voir un de ces
fameux soirs avec votre caméra…
(« Ex Libris » du 8 mars 1990, TF1)— garanties pour la bonne perception matérielle du phénomène
Une autre façon de renforcer la crédibilité d’un témoignage consiste à affirmer que
toutes les conditions matérielles pour la bonne perception du phénomène étaient
réunies. Ainsi, Mireille Dumas interroge un invité, témoin d'une apparition d'ovni, sur
son éventuelle ivresse, afin d'éliminer un facteur de rejet d'un témoignage :
PM : Et là j'ai voulu me r'tourner pour voir cette sphère lumineuse qui [???] sur la banquette
arrière, et c'est à c'moment-là que la voiture s'est slou… soulevée du sol.
Mireille Dumas : Mmm… vous étiez à jeun ? [riant]
PM : Oui, à jeun, tout à fait ; c'est la première chose d'ailleurs ! [riant]
MD : Ben… ben il faut… oui, il faut qu'les choses soient dites.
PM : Voilà.
(« Bas les masques » du 09/03/1993, France 2)
— appréciation positive globale du témoin
Enfin, plus généralement, puisque la crédibilité du témoignage est associée à la
crédibilité du témoin, l’animateur peut mettre en avant une évaluation globalement
positive sur le témoin. Cette évaluation positive peut passer par la valorisation de divers
aspects de la personnalité du témoin. Pour Patrick Poivre d'Arvor, semble-t-il, c’est la
normalité, voire la banalité de ses invités, qui en garantit le sérieux :
Patrick Poivre-d’Arvor : Alors quand on fait ce genre d'émission, on essaye d'éviter les farfelus ;
alors on a fait une petite enquête de voisinage pour savoir si les gens qu'on recevait étaient quand
même convenables. Bon, ceux-là, ils le sont, c'est ce qu'on nous dit chez vous. Et effectivement
quand on vous lit, on s'aperçoit que vous avez l'existence de monsieur tout le monde et de madame tout le monde, jusqu'au jour où vous, étudiant à Lille dans votre chambre, vous pratiquez pour la
première fois sans savoir de quoi il s'agissait un dédoublement astral.
(« Ex Libris » du 8 mars 1990, TF1)
Les propriétés mises en avant pour légitimer un témoin peuvent être surprenantes :
Patrick Poivre d'Arvor fait suivre le témoignage de ces mêmes locuteurs par le
commentaire suivant :
PPDA : Alors, vous y croyez, vous y croyez pas, ça dépend, c'est vrai qu'ils ont une bonne tête, et en
tout cas, vous pouvez les lire : ça s'appelle « Terre d'émeraude - témoignage d'outre-corps », c'est
aux éditions Arista, c'est d'Anne et Daniel Meurois-Givaudan.
(« Ex Libris » du 8 mars 1990, TF1)
— garanties pour la bonne perception matérielle du phénomène
Une autre façon de renforcer la crédibilité d’un témoignage consiste à affirmer que
toutes les conditions matérielles pour la bonne perception du phénomène étaient
réunies. Ainsi, Mireille Dumas interroge un invité, témoin d'une apparition d'ovni, sur
son éventuelle ivresse, afin d'éliminer un facteur de rejet d'un témoignage :
PM : Et là j'ai voulu me r'tourner pour voir cette sphère lumineuse qui [???] sur la banquette
arrière, et c'est à c'moment-là que la voiture s'est slou… soulevée du sol.
Mireille Dumas : Mmm… vous étiez à jeun ? [riant]
PM : Oui, à jeun, tout à fait ; c'est la première chose d'ailleurs ! [riant]
MD : Ben… ben il faut… oui, il faut qu'les choses soient dites.
PM : Voilà.
(« Bas les masques » du 09/03/1993, France 2)
— appréciation positive globale du témoin
Enfin, plus généralement, puisque la crédibilité du témoignage est associée à la
crédibilité du témoin, l’animateur peut mettre en avant une évaluation globalement
positive sur le témoin. Cette évaluation positive peut passer par la valorisation de divers
aspects de la personnalité du témoin. Pour Patrick Poivre d'Arvor, semble-t-il, c’est la
normalité, voire la banalité de ses invités, qui en garantit le sérieux :
Patrick Poivre-d’Arvor : Alors quand on fait ce genre d'émission, on essaye d'éviter les farfelus ;
alors on a fait une petite enquête de voisinage pour savoir si les gens qu'on recevait étaient quand même convenables. Bon, ceux-là, ils le sont, c'est ce qu'on nous dit chez vous. Et effectivement
quand on vous lit, on s'aperçoit que vous avez l'existence de monsieur tout le monde et de madame
tout le monde, jusqu'au jour où vous, étudiant à Lille dans votre chambre, vous pratiquez pour la
première fois sans savoir de quoi il s'agissait un dédoublement astral.
(« Ex Libris » du 8 mars 1990, TF1)
Les propriétés mises en avant pour légitimer un témoin peuvent être surprenantes :
Patrick Poivre d'Arvor fait suivre le témoignage de ces mêmes locuteurs par le
commentaire suivant :
PPDA : Alors, vous y croyez, vous y croyez pas, ça dépend, c'est vrai qu'ils ont une bonne tête, et en
tout cas, vous pouvez les lire : ça s'appelle « Terre d'émeraude - témoignage d'outre-corps », c'est
aux éditions Arista, c'est d'Anne et Daniel Meurois-Givaudan.
(« Ex Libris » du 8 mars 1990, TF1)
Ces procédés de crédibilisation des témoins, pris en charge non par le témoin lui-même
mais par un tiers (l’animateur), sont susceptibles d’être associés à divers témoignages,
quel qu’en soit l’objet.
En revanche, un certain nombre de procédés discursifs, généralement pris en charge par
les témoins eux-mêmes, ont la même fonction de crédibilisation des témoignages, mais
sont sans doute spécifiques aux témoignages attestant de phénomènes paranormaux.
Ces procédés discursifs se regroupent en trois grandes catégories :
- dénégation de crédulité
On l’a vu, l’attaque la plus fréquente dirigée contre les témoins de phénomènes
paranormaux est une accusation de crédulité : les témoignages comportent donc
souvent des dénégations de crédulité, qui passent par l’affirmation d’un scepticisme de
principe.
Ainsi, dans l'émission « Mystères » du 8 juillet 1992, un gendarme raconte comment un
radiesthésiste a retrouvé un sourd-muet qui s'était égaré en forêt. Il anticipe sur une
éventuelle mise en cause, en utilisant une négation polémique :
Le gendarme : Deuxième chose que je voudrais vous faire remarquer, c'est que personnellement je
ne suis ni naïf, ni crédule.
(« Mystères » du 08/07/1992, TF1)
Plus le locuteur affirme qu’il était sceptique au départ, plus son témoignage est crédible ;
c'est pourquoi la voyante Maud Kristen affirme à plusieurs reprises son cartésianisme
originel :
Maud Kristen : J’estime que la voyance, c'est pas du tout une question de foi, c'est pas du tout une
question de foi parce que moi, je suis quelqu'un de très sceptique, bizarrement, et moi-même j'ai mis
beaucoup de temps avant de croire que j'étais voyante.
(« Ex Libris » du 27/11/1990, TF1)
puis une fois encore, à propos des tarots (avant de tirer les cartes elle-même) :
Maud Kristen : Moi au début je trouvais ça impossible que des choses valables soient écrites sur des
bouts de carton. Je me disais que forcément, on tirait des cartes au hasard ; pas du tout.
(« Ex Libris » du 27/11/1990, TF1)
— négation d’un intérêt préalable pour le sujet
L’affirmation de scepticisme, qui constitue un topos des témoignages rendant compte
de phénomènes paranormaux, est souvent associée à un autre motif, qui consiste à nier
tout intérêt préalable pour les phénomènes de ce type. Ainsi, Mireille Dumas, présentant
un invité qui a été propriétaire d'un restaurant “hanté”:
Mireille Dumas : François, vous, vous avez 52 ans, vous dirigez une société d'import-export, vous
avez acheté il y a une vingtaine d'années à Paris, il y a un peu moins de vingt ans donc, un
restaurant où il s'est passé des phénomènes inexpliqués, alors que vous à l'époque vous n'étiez pas
vraiment euh porté sur le surnaturel.
François : Oui j'étais pas du tout branché là-dessus et en effet, j'ai acheté… enfin j'ai pas acheté, j'ai
loué et fait les travaux dans un très très beau restaurant.
(« Bas les masques » du 09/03/1993, France 2)
Le connecteur “alors que”, utilisé par la journaliste, marque que pour elle, l'absence
d'intérêt pour les phénomènes paranormaux et l’identification d’un phénomène
paranormal en tant que tel sont anti-orientés argumentativement. En effet, on suppose
qu’une personne adepte des phénomènes paranormaux tend à interpréter tout
phénomène bizarre comme, justement, paranormal. En revanche, on suppose qu’une personne qui ne s'intéresse pas à ce domaine ne pense à ce type d'interprétation
qu'après avoir éliminé toute autre possibilité d'explication : l'affirmation de l'existence de
tels phénomènes n'en aura que plus de poids.
– récit de résistance à la croyance
Enfin, le passage de l’affirmation d’un scepticisme originel et d’une absence d’intérêt
pour ce qui touche au paranormal à l’affirmation de l’existence de tels phénomènes se
fait par le biais de ce qu’on peut appeler un “récit de résistance à la croyance”, qui
retrace le passage du scepticisme à la conviction, et qui mobilise notamment les deux
procédés mentionnés plus haut. Dans cette séquence, qui met en scène la lutte du
scepticisme contre la croyance, le locuteur raconte les phénomènes auxquels il a assisté
ou les expériences qu'il a vécues, et son témoignage relate les épisodes au cours
desquels sa conviction s'est forgée. C'est ce récit de résistance à la croyance qu'illustre
le récit d'une invitée de l'émission « Bas les masques », qui raconte comment elle est
entrée en communication avec son mari après la mort de celui-ci :
Mireille Dumas : Vous étiez, avant, versée vers l'au-delà, vous étiez quelqu'un qui vous intéressiez à
ce genre de choses ?
Corinne : Pas du tout, absolument pas. D'abord, j'étais très cartésienne et j'essaye de le rester le
plus possible. [...]
MD : Et alors comment vous vous êtes retrouvée à entrer en communication avec lui, comment…
comment s'est fait ce… ce cheminement ?
C: Alors le cheminement euh… d'abord j'ai donc été chez mes parents parce que j'étais
incapable de m'occuper ni de mes enfants ni de moi, et j'ai eu entre les mains, pareil, par
coïncidence disons, le… le premier livre du père François Brune, « les morts nous parlent ». Alors
son titre est significatif, euh…et dans la bibliographie de ce livre, il y avait le livre de Monique
Simonet, « à l'écoute de l'invisible ». Alors j'ai lu ces deux livres, qui parlaient euh… donc de la
communication avec les défunts au moyen d'un magnétophone [moue] ; alors la première réaction,j'me suis dit “tout ça c'est d'la foutaise, tout ça c'est pour euh… pour gagner d'l'argent, tout ça c’est
pour euh… pour euh comment dire… pour toucher les gens qui sont encore plus dans la douleur et
qui sont encore plus faciles à atteindre lors de pendant ces moments-là”.
MD : Vous avez quand même tenté l'expérience puisque…
C: Oui
MD : Oui puisque c'que vous vouliez, c'était entrer en communication avec votre mari, le
retrouver, le rejoindre d'une certaine…
C: Voilà. Le livre de Monique Simonet paraissait tellement vrai, c'était tellement empreint de
vérité et de sincérité que bon, je m'suis dit “s'il y a une possibilité quelque part de pouvoir le
r'joindre, pourquoi pas ?”
MD : Et ça a marché tout de suite, avec le magnétophone ?
C: Presque tout de suite. [...] Je suivais mot à mot la méthode prescrite et euh… Madame
Monique Simonet préconisait entre 20 heures - 23 heures, alors moi j'faisais entre 20 heures 23
heures, même des fois j'dépassais, qu'importe, et j'avais rien. Alors j'me suis dit “bien, le trente
septembre, donc à la fin du mois, j'vais arrêter parce que tout ça, c'est pas vrai”, bon. Et le 29
septembre – alors euh… c'est coïncidence ou pas, mais le 29 septembre donc, j'enregistrais comme
tous les… comme tous les soirs, je posais toujours euh : “est-ce… si tu es là, est-ce que tu peux
m'dire un p'tit mot ?” euh bon et là, à la ré-écoute, j'entends un p'tit murmure. Alors je réécoute, je
réécoute, et plusieurs fois, donc j'entendais toujours ce murmure et à force de réécouter, le premier
message que j'ai eu de lui a été : “ma chérie, ma chérie, je t'aime”, et un p'tit mot derrière que je
n'comprenais pas. Mais ça m'suffisait toujours pas, parce qu'il fallait que j'aille toujours au bout.
Alors j'ai pris ma bande magnétique, j'ai été dans un studio à Paris ; je lui ai simplement dit qu'y
avait une voix où je n'entendais pas bien, euh, et y'avait plein de bruits, parce que c'est vrai qu'y
avait plein de bruits. Alors il a bien compris l'truc et il a enlevé plein de parasites, et il a monté le…
le son. Et là, y'avait plus aucun doute, là vraiment alors on entendait bien “ma chérie, ma chérie, je
t'aime”, et le petit mot que je n'comprenais pas, c'était : “je suis là” ; et là c'était sa voix, alors là j'ai
dit : “maintenant, j'y crois.”
(« Bas les masques » du 09/03/1993, France 2)
Le témoin tente ici de bloquer les inférences négatives que les récepteurs seraient
susceptibles de tirer de ses propos de diverses manières. Ainsi, après avoir affirmé son
esprit cartésien (sa “normalité” au pays de Descartes), elle affirme avoir lu le livre de
François Brune « par coïncidence », afin de bloquer les inférences négatives qui
naissent de l’intérêt préalable du locuteur pour le paranormal. Le hasard qui l’a
conduite à sa première lecture l’entraîne alors (par la bibliographie) vers d’autres
lectures. La première réaction (interprétation “normale”) est une réaction de rejet ; le
discours rapporté met en scène, explicitement, sa propre voix, et implicitement, la voix
supposée du destinataire, représentant de la “norme”, du “bon sens”, de la “raison”.
Ce premier rejet semble contradictoire avec le fait que, selon les termes de Mireille
Dumas, le témoin a « quand même » tenté l’expérience. Afin que le fait qu’elle ait
accepté l’essai ne soit pas interprété en sa défaveur, le témoin, aidé par Mireille Dumas,
invoque deux justifications à cette tentative : la douleur liée à la mort de son époux
(« puisque c'que vous vouliez c'était entrer en communication avec votre mari le
retrouver »), et la sincérité de l’auteur du livre (« le livre (...) de Monique Simonet
paraissait tellement vrai c'était tellement empreint de vérité et de sincérité »). De plus,
le témoin ne dit toujours pas croire à la communication avec l’au-delà, mais affirme
seulement accepter sa non impossibilité (« pourquoi pas »). Son scepticisme perdure même au cours de l’expérience (« j'vais arrêter parce que tout ça c'est pas vrai »
de la production du phénomène, le témoin souligne encore la normalité de sa réac
(« alors je réécoute je réécoute et plusieurs fois »), et sa dernière résistance (« ma
m’suffisait toujours pas ») est vaincue par l’ultime épreuve, technique, cette fois
(studio, appareillage, traitement de la bande...) qu’elle fait subir au phénomène. Co
dans les témoignages analysés par Wooffitt, c’est l’intervention d’un tiers (l’empl
du studio à Paris) innocent, ignorant tout de l’histoire, qui vient confirmer le diagn
qui commençait déjà à se dégager, et qui permet au locuteur de conclure au phéno
paranormal : « et là y'avait plus aucun doute », « alors là j'ai dit maintenant j'y
crois ». Cet extrait montre bien comment l’hostilité supposée des récepteurs entra
multiplication des précautions oratoires chez le locuteur.
5
Il est impossible de ne pas rapprocher de telles séquences de ce que Favret-Saada
(1977) dit des récits faits par les ensorcelés du Bocage normand. Elle mentionne
l’apparition fréquente d’une dénégation inaugurale dans les récits des ensorcelé
sous la forme « je n’y croyais pas » ou « je n’en avais jamais entendu parler ». La dénégation initiale permettrait à l’ensorcelé, qui vit désormais dans la logique des sorts,
de préserver la communication avec l’interlocuteur qui lui, est extérieur à la sorcellerie.
Dans le débat sur les phénomènes paranormaux, le récit du “parcours du combattant de
la croyance” pourrait, lui aussi, remplir une double fonction vis-à-vis du destinataire du
discours. D’une part, il constitue en quelque sorte une figure d’occupation, anticipant sur une réfutation ad hominem du témoignage arguant de la crédulité du témoin ;
d’autre part, posant que le témoin, au début du récit, se trouve dans les mêmes
dispositions intellectuelles que l’interlocuteur sceptique, il invite ce dernier à penser qu
lui aussi pourrait parcourir le même chemin, et passer de l’incrédulité à l’intime
conviction.