Petit retour sur Bourdais et Parmentier, dont on a fêté la Saint Gildas mardi, malgré le scandaleux cover-up/censure de cet événement sur ufo-scepticisme et d'autres fora croyants (Pas même sur Magonie !).
Pierre Lagrange s’attaque, en premier lieu, au rapport du Cometa. Il se permet d’affirmer, par exemple, que c’est l’œuvre d’un seul homme (qui « tirerait toutes les ficelles ») pour en diminuer la portée, bien entendu. Il se fait ainsi l’écho d’une rumeur tenace, lancée notamment par Jean-Pierre Petit et Jacques Vallée. Laissons de côté les tristes règlements de compte personnels, et disons seulement que c’est complètement faux. Lorsque Lagrange a attaqué le rapport du Cometa en 1999, parallèlement avec Perry Petrakis et Jenny Randles sur Internet, j’ai décidé aussitôt de les défendre. J’ai alors fait la connaissance de ce groupe que je ne connaissais pas, et ils m’ont expliqué qu’ils avaient travaillé pendant trois ans dans des réunions régulières, animées par le général de l’armée de l’Air Denis Letty, chacun apportant sa contribution. Celles-ci étaient discutées par le groupe de travail, parfois âprement, jusqu’à un accord complet sur le texte final. Plutôt que de colporter ce ragot ridicule d’un rapport écrit pas un homme seul, Lagrange aurait mieux fait de se renseigner sérieusement.
Pierre Lagrange s’en prend, ensuite, violemment à François Parmentier et à son excellent livre OVNIS. 60 ans de désinformation (Editions du Rocher, 2004). Il accuse notamment l’auteur d’être à la botte du Cometa, dans un chapitre virulent, intitulé « OVNIS : trois cents pages de désinformation ! ». Il se trouve que je connais assez bien Parmentier, et je peux affirmer qu’il n’est pas du genre à être à la botte de qui que ce soit. Cette accusation est stupide, tout simplement. Il est vrai que Lagrange en prend pour son grade dans ce livre, qui est à lire par tous ceux qui veulent comprendre quelque chose de l’ufologie mondiale. Quoi qu’en dise Lagrange, qui ergote sur certains aspects difficiles, sur lesquels la plupart des lecteurs n’ont aucune idée, c’est un livre solide et bien documenté qui démonte avec précision la politique du secret aux Etats-Unis. Nombreux sont ceux qui ont salué ses qualités, tels Yves Sillard (j’y reviens plus loin), le professeur Auguste Meessen, et le journaliste Stéphane (pas Sylvain !) Allix. Je renvoie le lecteur à l’article du professeur Meessen, qui y commentait également mon livre sur Roswell à :
Mais voyons, sur un exemple, la démarche de Lagrange pour le critiquer.
Lagrange cite un document bien connu, la lettre du général Twining, qui est discutée par François Parmentier dans son livre. Rappelons que ce général, commandant les services techniques de l’armée de l’Air américaine (AMC, Air Materiel Command), avait signé une lettre, datée du 23 septembre 1947, faisant un premier bilan de cette vague de « soucoupes volantes », à la demande du général Schulgen, chef adjoint des services de Renseignement au Pentagone. La lettre confirmait d’abord la réalité des ces engins, avec une description précise de leur aspect et de leurs performances extraordinaires. Remarquons ici que cette lettre, classée secrète à l’époque, a été publiée… en annexe du rapport Condon de 1969, qui concluait à l’inexistence des ovnis. Or cette lettre, à elle seule, prouvait le contraire ! Mais venons-en au point qui fait encore débat aujourd’hui. Le général Twining exprimait ensuite l’opinion (au § f) qu’il serait peut-être possible, un jour, de construire des engins plus ou moins comparables, mais que ce serait extrêmement coûteux, en temps et en argent, et que ce serait au détriment d’autres projets importants en cours. La lettre prenait alors un tour curieux car le général Twining évoquait ensuite (§ g) la possibilité que ce soient malgré tout des engins « domestiques », inconnus de ses services comme de ceux du général Schulgen. Il y a une contradiction entre ces deux paragraphes. En réalité, il était hautement improbable que ces directions importantes de l’armée de l’Air n’aient pas été au courant d’un tel projet s’il avait réellement existé. Ces ovnis n’étaient pas des « engins domestiques » et, d’ailleurs, le général Schulgen, justement, en avait déjà informé le FBI par lettre du 5 septembre. On voit ainsi que la lettre de Twining devenait moins claire, tout d’un coup. Or, le général Twining mentionnait ensuite « l’absence de preuve physique sous la forme de pièces récupérées après un crash qui permettraient d’établir de manière indéniable l’existence de ces objets ». Voilà, clament tous les sceptiques sur Roswell, la preuve qu’il n’y a pas eu de crash. Seulement, l’argument est faible car il méconnaît le sens et la portée de la lettre, qui se terminait par un appel urgent à tous les établissements publics de recherche, aussi bien civils que militaires, pour transmettre et étudier impérativement toutes les observations et données disponibles sur les ovnis. En fait, si un ovni avait été récupéré en grand secret, début juillet, près de Roswell, cela ne pouvait absolument pas être évoqué dans une telle lettre, destinée à une assez large diffusion, et classée à un niveau moyen de secret. En revanche, cette lettre n’était pas du tout incompatible avec une telle découverte, et c’est ce que François Parmentier explique avec raison dans son livre. On peut faire la même objection à un document analogue, cité bien entendu par Lagrange, écrit par le colonel McCoy en 1948. Bien d’autres auteurs partagent ce point de vue, par exemple les excellents chercheurs américains Michael Swords et Bruce Maccabee. J’avais détaillé tout cela, notamment, dans mon livre OVNIS. 50 ans de secret, publié en 1997 par l’éditeur actuel de Lagrange (on a parfois, il faut l’avouer, l’impression de reculer !) Or, qu’en fait Lagrange ?
Faites bien attention à la suite du raisonnement. Lagrange reproche alors à Parmentier d’accréditer l’hypothèse du crash de Roswell en 1947, et donc d’une politique du secret de l’Air Force depuis cette date, et il s’exclame avec indignation que « défendre une telle thèse revient à réécrire l’histoire des sciences » (page 102). Comment peut-il monter ainsi sur ses grands chevaux ? Il faut citer ici le commentaire de Lagrange, tellement il est curieux et fumeux :
« Cette thèse suppose deux choses : qu’il existe un savoir positif sur les ovnis (et donc sur d’autres sujets) et que la définition de la réalité n’est pas le résultat d’un travail, mais d’un constat ». Et il conclut : « … la thèse de Parmentier revient à dire que la réalité relève du constat, existe, que certains connaissent la vérité et qu’à partir de là il suffit d’obtenir des aveux des autorités ».
Pourquoi donc ne pourrait-on faire des constats ? Moi, je constate que j’ai les pieds sur terre (au sens propre). Je ne sais pas bien pourquoi, mais je le constate. Toute connaissance rationnelle, scientifique, commence ainsi, par des constats, me semble-t-il. Dans l’affaire de Roswell, que constatons-nous ? Que l’armée de l’Air avait commencé par annoncer la découverte d’un ovni, puis l’avait niée précipitamment avec une histoire de ballons, qui a varié dans le temps mais qui ne tient toujours pas debout, et que, en revanche, il y a une multitude de témoins crédibles, dont le nombre vient encore de s’accroître, sur la découverte d’un ovni. En conséquence de quoi, l’hypothèse d’un accident d’ovni maintenu secret mérite pour le moins d’être sérieusement considérée, au lieu d’être frappée de cette condamnation alambiquée.
Sur ces deux points, ballons et témoins, je renvoie le lecteur à deux de mes articles, le premier sur le livre de Karl Pflock (publié en français à l’instigation de Lagrange) : « Roswell, l’ultime enquête. Le flop de Karl Pflock », et le second sur le festival de Roswell et les nouveaux témoins, rassemblés dans le livre remarquable de Tom Carey et Donald Schmitt Witness to Roswell : « Le festival de Roswell 2007 et les nouveaux témoins sur l’accident d’un ovni ». On les trouvera sur le site du GREPI
Tout le chapitre de Lagrange sur Parmentier est de ce calibre-là, et le comble est atteint lorsqu’il qu’il finit par soupçonner son livre d’être « une vaste opération de désinformation », dans laquelle Lagrange englobe d’ailleurs le Cometa et d’autres, qui « imposent leurs idées paranoïaques au mépris du débat scientifique » (page 133) ! Citons encore une tirade digne de rester dans les annales de l’ufologie la plus ringarde :
« Parmentier a voulu établir un dossier digne des enquêtes de l’équipe d’Elise Lucet, il a tout juste réussi à sortir un mauvais sketch des Guignols » (Page 128).
L’émission de France 3, citée comme modèle : quelle gaffe ! Nous aurons la bonté de supposer que le livre était déjà imprimé avant la triste émission du 29 juin dernier.
La prose bourdaisienne est plus agréable à lire que celle de Parmentier.