Je lis l'éditorial et j'admire ! Ce Stanilas a un talent pour exprimer nos petites manies irrationnelle du quotidien ! Ca m'épate à chaque fois. Merci à lui et pour le fond et pour la forme

« 0000 » Mon code PIN (parasol)En ces temps où le summum de la zététique journalistique consiste à critiquer la pertinence des sondages politiques en les propageant docilement, ou encore à prétendre juger un candidat à la crédibilité comptable de son programme, voire enfin à discuter de la justification de l'intervention des forces de police dans ce qui n'était après tout qu'une expérience du chat (ou du djihadiste) de Schrödinger grandeur nature (quand le chat est dans la boîte, on ne sait pas s'il est vivant ou mort ; quand la boîte est ouverte on sait), on entend moins les médias sur les questions qui titillent périodiquement les sens du zététicien-prof-de-physique que je suis, comme le nucléaire ou les ondes-qui-tuent.
Sur ce dernier sujet, débat immobile s'il en est, devrons-nous attendre la prochaine étude controversée, ou le prochain creux dans l'agenda médiatique, pour pouvoir suivre l'épisode suivant ? Hé bien non, fidèle à mon devoir vigilant de gardien du temple zététique, je vais de ce pas sonner la fin de la série.
Les téléphones portables grillent-ils le cerveau ? La réponse est oui, j'en ai établi scientifiquement la preuve incontestable par une expérience ébouriffante.
Le protocole de mon expérience était simple, mais encore fallait-il y penser. Il s'agissait d'observer en continu le comportement de personnes dépourvues de téléphone lorsqu'on leur en donne un, et ce sur plusieurs mois. J'ai réalisé cette expérience sur un échantillon d'une personne : moi. C'est peu, certes. Mais comme le sujet présentait au départ tous les signes d'un équilibre mental et social parfait, ainsi qu'une intelligence vive et éclectique, la moindre altération dans son comportement serait forcément un signe infaillible.
Depuis quelques mois, j'ai donc un téléphone portable. En fait, si je n'en avais pas, ce n'était pas, contrairement à ce qui semblait évident à tout le monde, que j'étais « réfractaire ». Je n'y étais pas plus réfractaire qu'à l'hélicoptère, la presse sportive, la progéniture ou la lotion après-rasage : je n'en voyais tout bonnement pas l'utilité. Une personne avec laquelle je travaille sur des activités éditoriales a lourdement insisté pour que je sois joignable par téléphone. J'ai donc acquis le strict minimum, un téléphone qui ne fait que téléphoner, et encore à peine vu que je n'ai la plupart du temps pas de crédit (seulement vingt minutes tous les six mois), donc je ne peux que recevoir des appels.
N'insiste pas, je ne te donnerai pas le numéro (d'ailleurs je ne le connais pas). Seuls mes collaborateurs éditoriaux l'ont. Déjà là, je crus voir un signe d'aliénation mentale bénigne. J'eus beau arguer du fait que si j'étais joignable et disposé à travailler, alors j'étais devant mon ordinateur, c'est-à-dire chez moi, auquel cas j'étais joignable sur mon téléphone fixe ; et que, réciproquement, si je n'étais joignable que sur portable, alors je n'étais pas disponible pour travailler, donc rien ne servait de chercher à me joindre ; j'eus beau me débattre pour rester vierge du portable, rien n'y fit.
De fait, l'avenir m'a détrompé : ce fut utile à trois reprises. Mettons donc que ce point-là ne soit pas décisif. Ce fut donc en observant mon propre comportement que j'acquis la certitude que le téléphone portable grille le cerveau.
Je n'ai fait en somme que vérifier ce que j'observe quotidiennement autour de moi, dans les transports en commun ou auprès de mes élèves. Certains ont toujours le téléphone en main, même pour n'en rien faire : voilà qui m'intriguait fort. Certains sont toujours en train d'appeler, de recevoir des appels, d'envoyer des messages écrits ou d'en lire : voilà qui me laissait perplexe sur la quantité de choses que ces gens peuvent avoir à se dire.
J'ai interrompu l'expérience avant de devenir comme eux, mais je l'ai poussée pour être sûr que mon comportement avait été modifié. Quand j'ai le téléphone en poche, je m'en sers pour regarder l'heure. Quel besoin ai-je subitement de savoir l'heure, moi qui auparavant me contentais de l'heure publique, assez abondante en ville ? Si j'ai besoin de savoir l'heure, c'est que je crains d'être en retard pour aller au travail, et dans ce cas je n'ai qu'à regarder l'heure à l'arrêt de bus ou de métro, voire dans le bus. Mais non, là je me suis mis à sortir mon téléphone pour y regarder l'heure à tout propos, alors même que je n'étais pressé par rien. Premier frisson d'effroi qui me glaça.
Évidemment, au début, lorsque je pensais que ledit appareil était susceptible de sonner pour une demande urgente (ou ressentie comme telle) de mes collaborateurs, j'examinais à tout instant la boîte de messagerie, j'allumais ou éteignais l'appareil pour qu'il puisse sonner en cas de besoin, mais pas pendant mes cours. Globalement, j'ai perdu mon temps. La présence même de l'objet dans la poche droite de mon manteau était en soi génératrice de comportement aliéné. Je passais mon temps à tripoter ce petit morceau de plastique, à le faire tourner dans mes mains. « Vois comme je suis oblong et bien découplé », semblait-il me susurrer, « touche comme ma peau est douce, caresse mes courbes suaves, triture mes touches turgescentes ». Arrière, Belzébuth !
Ainsi convaincu que Satan l'habite, j'hésitai à faire exorciser l'appareil. Il paraît d'ailleurs que l'exorcisme est en pleine vogue, j'aurais peut-être eu des prix.
J'ai finalement opté pour une solution simple : quand il existe un risque que l'objet puisse servir, je l'emporte avec moi, certes, mais sur vibreur et dans la poche gauche de mon pantalon, sous mon mouchoir (sale). Sinon il est éteint sur mon bureau, à côté de mon téléphone fixe. Ouf.
Alors certes, je n'ai pas prouvé que la nocivité provient des ondes. Mais si tu le veux bien, ami lecteur, j'arrêterai l'expérience ici, j'en ressors avec le cerveau trop diminué pour ne pas craindre pour ma santé.
Stanislas Antczak
Éditorialiste ondulatoire