Herbert George Wells : "Les premiers hommes dans la lune"
Les Premiers Hommes dans la Lune est un roman de science-fiction de H. G. Wells, publié en 1901 chez George Newnes.
"...Nous fixâmes attentivement cette mince ligne
brillante qui s’agrandit en une bande plus large et
plus pâle. Elle fit bientôt l’effet d’une lumière
bleuâtre tombant sur un mur blanchi à la chaux.
Les bords de la raie lumineuse perdirent leur
parallélisme et une dentelure se dessina d’un
côté. Je me retournai pour en faire la remarque à
Cavor, et fus stupéfait de voir son oreille
brillamment éclairée tandis que tout le reste de sa
personne était dans l’ombre. Je me tordis le cou
autant que mes liens me le permettaient..."
"...Soudain le craquement à la suite duquel était
entrée la lumière se renouvela, amplifié et révéla
bientôt derrière nous l’embrasure d’une porte
ouverte. Au-delà s’étendait une perspective de
nuance saphir et dans l’ouverture se dressait un
contour grotesque silhouetté contre le reflet.
Nous fîmes tous deux des efforts convulsifs
pour nous retourner et, n’y réussissant pas, nous
restâmes à considérer cette apparition par-dessus
notre épaule. J’eus tout d’abord l’impression de
quelque gauche quadrupède qui aurait la tête
baissée. Puis je m’aperçus que c’était le corps
frêle et étroit, les jambes bancales, courtes et
extrêmement déliées d’un Sélénite, avec sa tête
affaissée entre les épaules. Il n’avait pas l’espèce
de casque et de vêtement qui couvraient ceux du
dehors. Il était pour nous une forme noire et
morne, mais instinctivement notre imagination
dotait d’une physionomie ces formes très
humaines ; et pour moi, du moins, je conclus
immédiatement qu’il était un peu bossu avec un
front élevé et de longs traits.
Il fit trois pas en avant et s’arrêta. Ses
mouvements semblaient absolument silencieux.
Puis il s’avança de nouveau. Il marchait comme
un oiseau en posant ses pieds l’un devant l’autre.
Il s’écarta de la raie de lumière qui entrait par le
cadre de la porte et on eût dit qu’il s’évanouissait
entièrement dans l’ombre.
Un instant mes yeux le cherchèrent où il
n’était pas, et je l’aperçus ensuite droit en face de
nous, en pleine lumière. Seulement la
physionomie humaine que je lui avais attribuée
n’y était pas du tout ! Le devant de sa face était
vide. Naturellement j’aurais dû m’y attendre, mais
je n’y avais pas pensé. Ce fut pour moi, pendant
un moment, un choc écrasant. Cela ne semblait
pas être une face ; on eût voulu que ce fût un
masque, une horreur, une difformité, qui bientôt
serait désavouée ou expliquée.
L’ensemble avait assez l’air d’un casque à
visière... mais je ne peux pas expliquer la chose.
Avez-vous jamais vu la tête énormément grossie
d’un insecte ? Il n’y avait ni nez ni expression ;
c’était une surface luisante, dure et invariable,
avec des yeux en saillie ; j’avais supposé que
c’étaient des oreilles...
J’ai essayé de dessiner une de ces têtes, mais
je n’ai pu y réussir. Ce que l’on ne peut rendre,
c’est l’horrible manque d’expression ou plutôt
l’horrible manque de changement d’expression.
Chacune des têtes et des faces qu’un homme
rencontre sur la terre revêt ordinairement une
expression. Quand on voyait cette tête-là, on se
figurait être soudain regardé par une machine.
Cette chose indicible se dressait là, nous
examinant.Mais quand je dis qu’il y avait un manque de
changement d’expression, cela ne signifie pas
que cette figure n’eût pas une sorte d’expression
figée, une immobilité aussi expressive qu’un seau
à charbon, un capot de cheminée ou un
ventilateur de bateau à vapeur. Il y avait une
bouche incurvée vers le bas, comme une bouche
humaine qui guette férocement.
Le cou sur lequel cette tête reposait en
équilibre était articulé en trois endroits, presque à
la façon des courtes jointures d’une patte de
crabe. Je ne pouvais voir les articulations des
membres à cause des lanières qui les
emmaillotaient et qui formaient le seul vêtement
que portât cet être.
À ce moment, mon esprit fut absorbé par
l’affolante impassibilité de cet être. Je suppose
qu’il était, lui aussi, fort étonné, avec peut-être
plus de raisons que nous. Seulement, le diable
soit de lui, il ne le montrait pas ! Nous, au moins,
nous savions par suite de quelles circonstances
nous étions en présence de ces créatures
invraisemblables. Mais concevez ce que penserait
un respectable Londonien, par exemple, qui
tomberait soudain sur deux choses vivantes aussi
grosses que des hommes et absolument
différentes des animaux terrestres, prenant leurs
ébats au milieu des moutons de Hyde-Park ?
Telle devait être la surprise du Sélénite..."
Ben tiens !
Les Premiers Hommes dans la Lune est un roman de science-fiction de H. G. Wells, publié en 1901 chez George Newnes.
"...Nous fixâmes attentivement cette mince ligne
brillante qui s’agrandit en une bande plus large et
plus pâle. Elle fit bientôt l’effet d’une lumière
bleuâtre tombant sur un mur blanchi à la chaux.
Les bords de la raie lumineuse perdirent leur
parallélisme et une dentelure se dessina d’un
côté. Je me retournai pour en faire la remarque à
Cavor, et fus stupéfait de voir son oreille
brillamment éclairée tandis que tout le reste de sa
personne était dans l’ombre. Je me tordis le cou
autant que mes liens me le permettaient..."
"...Soudain le craquement à la suite duquel était
entrée la lumière se renouvela, amplifié et révéla
bientôt derrière nous l’embrasure d’une porte
ouverte. Au-delà s’étendait une perspective de
nuance saphir et dans l’ouverture se dressait un
contour grotesque silhouetté contre le reflet.
Nous fîmes tous deux des efforts convulsifs
pour nous retourner et, n’y réussissant pas, nous
restâmes à considérer cette apparition par-dessus
notre épaule. J’eus tout d’abord l’impression de
quelque gauche quadrupède qui aurait la tête
baissée. Puis je m’aperçus que c’était le corps
frêle et étroit, les jambes bancales, courtes et
extrêmement déliées d’un Sélénite, avec sa tête
affaissée entre les épaules. Il n’avait pas l’espèce
de casque et de vêtement qui couvraient ceux du
dehors. Il était pour nous une forme noire et
morne, mais instinctivement notre imagination
dotait d’une physionomie ces formes très
humaines ; et pour moi, du moins, je conclus
immédiatement qu’il était un peu bossu avec un
front élevé et de longs traits.
Il fit trois pas en avant et s’arrêta. Ses
mouvements semblaient absolument silencieux.
Puis il s’avança de nouveau. Il marchait comme
un oiseau en posant ses pieds l’un devant l’autre.
Il s’écarta de la raie de lumière qui entrait par le
cadre de la porte et on eût dit qu’il s’évanouissait
entièrement dans l’ombre.
Un instant mes yeux le cherchèrent où il
n’était pas, et je l’aperçus ensuite droit en face de
nous, en pleine lumière. Seulement la
physionomie humaine que je lui avais attribuée
n’y était pas du tout ! Le devant de sa face était
vide. Naturellement j’aurais dû m’y attendre, mais
je n’y avais pas pensé. Ce fut pour moi, pendant
un moment, un choc écrasant. Cela ne semblait
pas être une face ; on eût voulu que ce fût un
masque, une horreur, une difformité, qui bientôt
serait désavouée ou expliquée.
L’ensemble avait assez l’air d’un casque à
visière... mais je ne peux pas expliquer la chose.
Avez-vous jamais vu la tête énormément grossie
d’un insecte ? Il n’y avait ni nez ni expression ;
c’était une surface luisante, dure et invariable,
avec des yeux en saillie ; j’avais supposé que
c’étaient des oreilles...
J’ai essayé de dessiner une de ces têtes, mais
je n’ai pu y réussir. Ce que l’on ne peut rendre,
c’est l’horrible manque d’expression ou plutôt
l’horrible manque de changement d’expression.
Chacune des têtes et des faces qu’un homme
rencontre sur la terre revêt ordinairement une
expression. Quand on voyait cette tête-là, on se
figurait être soudain regardé par une machine.
Cette chose indicible se dressait là, nous
examinant.Mais quand je dis qu’il y avait un manque de
changement d’expression, cela ne signifie pas
que cette figure n’eût pas une sorte d’expression
figée, une immobilité aussi expressive qu’un seau
à charbon, un capot de cheminée ou un
ventilateur de bateau à vapeur. Il y avait une
bouche incurvée vers le bas, comme une bouche
humaine qui guette férocement.
Le cou sur lequel cette tête reposait en
équilibre était articulé en trois endroits, presque à
la façon des courtes jointures d’une patte de
crabe. Je ne pouvais voir les articulations des
membres à cause des lanières qui les
emmaillotaient et qui formaient le seul vêtement
que portât cet être.
À ce moment, mon esprit fut absorbé par
l’affolante impassibilité de cet être. Je suppose
qu’il était, lui aussi, fort étonné, avec peut-être
plus de raisons que nous. Seulement, le diable
soit de lui, il ne le montrait pas ! Nous, au moins,
nous savions par suite de quelles circonstances
nous étions en présence de ces créatures
invraisemblables. Mais concevez ce que penserait
un respectable Londonien, par exemple, qui
tomberait soudain sur deux choses vivantes aussi
grosses que des hommes et absolument
différentes des animaux terrestres, prenant leurs
ébats au milieu des moutons de Hyde-Park ?
Telle devait être la surprise du Sélénite..."
Ben tiens !