CHERBOURG 1905 : UNE AVEUGLANTE LUMIÈRE
Passons quelques siècles pour arriver au début de celui-ci. En 1905, un événement extraordinaire s’est passé au-dessus de Cherbourg où était ancrée notre marine de guerre. Cette fois la description coïncide d’avantage avec le langage de notre époque. Voici ce qu’écrivait le Cherbourg Éclair, journal de la région :
« Dans la soirée de samedi, soit le 30 mars 1905, un globe lumineux venant du nord fut aperçu au-dessus de la digue, et qui après avoir décrit une large courbe au-dessus de la ville, disparaissait vers 11 heures dans la direction d’où il était venu. Des officiers, des personnes qui ont une certaine compétence, ont parfaitement vu ce phénomène lumineux qui donnait l’impression d’une lampe à arc électrique, qui se serait ainsi promenée dans l’espace, semblant suivre une ligne déterminée.
« On n’a pas pu savoir approximativement à quelle hauteur cette lumière planait et on peut encore moins établir qu’il s’agit d’une planète, d’un météore inobservé jusqu’à présent, bien entendu, ou d’un ballon qui, dans ce cas, serait parfaitement dirigeable, car pendant ces trois soirs, il est apparu et disparu au même endroit après avoir parcouru le même cycle. Certaines personnes croient avoir remarqué que l’aveuglante lumière était devenue par moments verte et rouge. En tout cas, le vice-amiral Besson, préfet maritime, avait fait fonctionner des projecteurs électriques, mais leurs rayons s’éparpillaient bien avant d’avoir atteint l’altitude où planait le bolide. Le préfet maritime a donné des ordres pour que les torpilleurs suivent le phénomène s’il se reproduisait. Lucien Rudaux, directeur de l’Observatoire de Donville, près de Granville, ayant une expérience spéciale de cette région céleste, ne pense pas que le phénomène puisse être astronomique. Il ne correspond à rien qui ait été observé d’analogue jusqu’à présent en aucune station météorologique ou autre. Les dimensions indiquées pour le disque lumineux n’apprennent pas grand-chose. On sait, et c’est une base, que le disque de la lune observé à 50 cm de l’œil, présente un diamètre d’un demi-centimètre, soit celui d’un pain à cacheter. L’astre de Cherbourg, si c’en est un, avec ses 15 cm de diamètre apparent, serait donc énorme et prodigieux en comparaison, et l’hypothèse d’un ballon captif lumineux est plus vraisemblable. Il convient également d’écarter l’hypothèse d’un bolide, car ce bolide ne serait pas revenu sur l’horizon plusieurs jours de suite. »
Cinq jours plus tard, le Cherbourg Éclair faisait paraître l’article suivant :
« Sur des ordres venus du ministère, M. le vice-amiral Besson, préfet maritime, a donné des instructions pour que des observations soient prises relativement au phénomène lumineux remarqué dans notre ciel depuis le 30 mars. A bord du Chasselou-Daubat, la journée de mardi a été passée à enregistrer les observations déjà recueillies, ainsi d’ailleurs qu’a l’observatoire de l’arsenal. Richard Arapu, ingénieur des Arts et Manufactures, et son rédacteur scientifique du journal Le Matin se sont mis en rapport avec les autorités maritimes, et dans la soirée, ils émettaient l’avis que l’astre mystérieux n’était autre que la planète Vénus, vue dans notre ciel dans des conditions météorologiques telles qu’elles présentent un caractère réel d’intérêt. À bord du Chasselou-Daubat, on a écarté l’hypothèse de Jupiter, mais en même temps, on a dit que les coordonnées ne correspondent pas avec celles indiquées pour Vénus dans les ouvrages sur la connaissance des temps. De l’ensemble des observations recueillies, tous les officiers de ce cuirassé inclinent a penser que le corps lumineux dont il s’agit est vraisemblablement une planète. Ainsi qu’on le voit, il n’y a pas accord dans les milieux officiels sur la nature et le nom de l’astre qui éclaire la nuit d’une si magnifique lueur. »
Cet objet mystérieux, qui a tant intrigué à la fois les civils et les militaires de Cherbourg, a encore fait l’objet d’un nouvel article dans le journal Cherbourg Éclair, le 19 avril 1905 :
« L’astre a fait une réapparition dimanche soir, et plusieurs de nos lecteurs ont bien voulu nous informer qu’ils l’ont vu vers 9 heures, les uns à l’œil nu, les autres avec une lorgnette, et en suivant la marche vers l’ouest. Or, il n’était pas possible de confondre le phénomène astronomique que nous signalons ici avec la lune, puisque celle-ci brillait en même temps dans une direction fort différente, d’après un témoin de ce phénomène, que les astronomes nient parce qu’ils ne peuvent l’expliquer, leur science se trouvant prise en défaut.
« On l’apercevait dimanche soir et vers le nord-ouest, gros deux fois au moins comme les plus grosses planètes, et dont l’éclat semblait égal en intensité à un feu de four. Une buée rougeâtre l’entourait, et il laissait derrière lui un sillage de feu. D’autre part, les deux grosses étoiles dont il était question dans la chronique de notre collaborateur Charles de Lourmel étaient visibles également, et continuaient d’escorter le noyau de forme ogivale, qui paraît être tout bonnement une comète nouvelle et non un bolide qui aurait déjà chu. Il s’agit là d’un phénomène météorologique d’autant plus intéressant qu’insoupçonné.
« Le journal de Caen, pour sa part, signale qu’un officier chargé de relever des observations sur l’astre mystérieux que l’on observe depuis quelque temps avait cru pouvoir identifier que l’astre était la planète Jupiter. L’inexactitude de ce renseignement a été scientifiquement démontré et l’on croit qu’il s’agit d’un phénomène céleste que les astronomes n’ont pas eu jusqu’à présent à étudier. »