« Je n'ai jamais vu d'étoiles filantes ! » est une remarque récurrente que l'on peut entendre quand on anime des soirées astronomiques. Si c'est votre cas, ou bien si vous avez par exemple raté la pluie des Perséides de cette année (faute conjuguée de la Pleine Lune et de la météo pourrie estivale), réjouissez-vous, car nous allons avoir une séance de rattrapage (et quelle séance!) dans les jours à venir.
En effet, les grands spécialistes mondiaux des essaims météoriques annoncent une activité exceptionnelle de l'essaim des Draconides dans la nuit du 8 au 9 octobre. Et fait exceptionnel : l'Europe est particulièrement bien située pour observer le phénomène ! La Lune sera quelque peu gênante, mais en prenant quelques précautions, nous pourrons nous affranchir quelque peu de sa lumière parasite.
Les Draconides, qu'est ce que c'est?
Demandez à quelqu'un de vous citer un nom d'essaim d'étoiles filantes. Il y a fort à parier que le premier nom à venir sera « Perséides » (les étoiles filantes du mois d'août, dont beaucoup pensent qu'il s'agit des seules étoiles filantes visibles durant l'année). Si vous avez affaire avec quelqu'un d'un peu plus chevronné, les termes de « Léonides » et « Géminides » viendront. Mais par contre, « Draconides »...
Et c'est bien normal que cet essaim soit très peu connu du grand public : le taux maximum habituel dépasse péniblement une ou deux étoiles filantes à l'heure, en période d'activité. Autant dire absolument rien de remarquable.
Sauf que cet essaim connaît quelquefois des sursauts d'activité très importants, avec de véritables tempêtes d'étoiles filantes à la clef, marquant les esprits. Ce sera presque le cas cette année.
Les Draconides, comme leur nom l'indique, semblent provenir de la constellation du Dragon. Leur corps-parent est la comète 21P/Giacobini-Zinner, une comète périodique passant tous les 6,6 ans, découverte en 1900 par Michel Giacobini, et redécouverte en 1913 par Ernst Zinner. Cela explique une particularité de cet essaim : il est le seul à posséder un deuxième nom ! En effet, les Draconides sont parfois appelées Giacobinides. Une exception à la règle qui veut que les essaims d'étoiles filantes portent le nom de la constellation où se situe leur radiant.
En 1915, le révérend M. Davidson, cherchant à associer des comètes à courte période à d'éventuels essaims météoriques, découvre que 21P/Giacobini-Zinner correspond aux critères qu'il recherche. En effet, l'orbite de la comète était assez proche de la Terre le 10 octobre 1915, et prédit que si les débris de cette comète s'étaient propagés vers l'extérieur d'environ trois millions de km, un nouvel essaim ayant radiant dans le Dragon pourrait être actif. Prédiction vérifiée par William Denning, qui a enregistré un certain nombre de météores semblant provenir du Dragon durant la première moitié d'octobre 1915.
Davidson révisa sa prévision en 1920, principalement en raison d'une erreur trouvée dans sa prédiction antérieure, suggérant que le maximum devrait très probablement se produire le 9 octobre. Une prévision qui s'avéra encore une fois exacte, avec quelques météores observés, et décrits comme lents.
L'existence de l'essaim des Draconides était ainsi établie.
Ainsi, chaque année, du 6 au 10 octobre, notre planète croise le sillage de la comète 21P/Giacobini-Zinner.
Sursauts et tempêtes à travers le temps
1926 fut une année particulière pour les Draconides. 21P/Giacobini-Zinner devait en effet passer au périhélie (point de son orbite le plus proche du Soleil) à la fin de l'année, et les orbites de la comète et de la Terre devaient se croiser 70 jours avant, soit le 10 octobre. Une telle proximité dans l'espace et dans le temps ont permis à Davidson et A. C. D. Crommelin d'annoncer une belle pluie d'étoiles filantes pour le 10 octobre.
La nuit du 9 au 10 octobre 1926 a en effet été marqué pour une activité inhabituelle (mais prévisible) de l'essaim. Cette nuit fut marquée par l'apparition d'une « boule de feu » (un bolide), vu par des centaines d'observateurs dans les îles britanniques. Le météore se déplaçait lentement et a illuminé le ciel. Mieux : une traînée persistante a duré environ 30 minutes, « durant lesquelles elle a subi de curieux changements de forme et montré une dérive parmi les étoiles ».
L'enthousiasme pour cet essaim retomba bien vite. Durant la période 1927-1932, quelques observateurs ont essayé d'entrevoir l'essaim des Draconides, hélas, sans succès. Aucune activité ne fut détectée.
Après son passage de 1926, 21P/Giacobini-Zinner repassa au périhélie le 15 juillet 1933. Environ 80 jours plus tard, le 9 octobre, la Terre traversa le secteur du nœud ascendant de la comète. Avec six années de vaches maigres, les astronomes n'étaient pas préparés à ce qui allait se passer. Lorsque la nuit tomba sur l'Europe en cette soirée du 9 octobre, le nombre de Draconides monta en flèche en seulement quelques heures, et à 20h00 TU, l'un des plus beaux spectacles astronomiques du 20ème siècle eut lieu.
En Irlande, W. Ellison, astronome de l'observatoire Armagh rapporta que les météores tombaient aussi souvent que des flocons de neige ! Toujours en Irlande, W. Milligan rapporta avoir vu des milliers d'étoiles filantes, dont 100 pendant un intervalle de 5 secondes ! A Malte, R. Forbes-Bentley observa plus de 22 500 (oui oui!) météores en seulement quelques heures, et estima un taux d'activité maximum atteignant 480 par minute (!) à 20h15 TU. D'autres observateurs, notamment en URSS et en Espagne, estimèrent le taux à une centaine d'étoiles filantes à la minute.
On a ainsi pu estimer que le taux de Draconides en 1933 a atteint les 6000 météores par heure, une véritable tempête ! Les météores étaient lents, en général faibles, et généralement de couleur jaune.
A la suite de cet événement exceptionnel, les Draconides sont redevenues inexistantes. Rien ne fut observé jusqu'en 1945, mais les prévisions allaient bon train pour 1946, car 21P/Giacobini-Zinner devait passer au périhélie le 18 septembre, et la Terre devait traverser l'orbite de la comète seulement deux semaines après la comète !
Ce sont les observateurs situés en Amérique qui étaient bien placés, car pour les Européens, le radiant était trop bas sur l'horizon. Bien que spectaculaire, l'activité fut bien moindre que ce qui fut observé en Amérique.
Le bilan des observations ont montré une activité comprise entre 3000 et 12 000 météores par heure.
1946 marque également une étape importante pour l'astronomie des météores : l'utilisation du radar pour la détection ! Non seulement la technique s'avéra très pratique, mais en plus, l'activité de l'essaim fut telle qu'une ionosphère temporaire se forma à une altitude de 90 km ! Une ionosphère météorique qui dura seulement trois heures.
Les amateurs de bolides noteront que le 10 octobre à 3h38 TU, une grande boule de feu de couleur blanc-bleuté fut observée en Californie. Elle laissa une traînée jaune qui perdura plus de trois minutes. Elle dériva et pris la forme d'un fer à cheval.
Après 1946, et durant plusieurs années consécutives, les techniques visuelles et radio n'ont pas permis de détecter la moindre Draconide.
Une pluie d'étoiles filantes possible était prévue pour le 9 octobre 1952. Les observations visuelles se révélèrent décevantes, avec seulement une activité minimum peu après le coucher du Soleil. Mais les observations radar, faites de jour, quelques heures plus tôt, ont montré une activité de 250 météores par heure.
Malgré des prévisions optimistes pour 1959 et 1966, rien ne fut observé : l'orbite de la comète avait légèrement changée, l'amenant plus près du Soleil. Les conditions géométriques étant défavorables, aucune pluie ne pouvait plus être observée.
Mais c'était sans compter sur un coup de pouce de Jupiter ! Le 23 septembre 1969, 21P/Giacobini-Zinner passa à seulement 0,5769 Unité Astronomique (86 millions de km) de la planète géante, ce qui a eu pour conséquence d'augmenter sa distance au périhélie, à 0,99 UA (c'est très proche de l'orbite de la Terre).
Les prévisions étaient très optimistes pour 1972, mais malheureusement, la douche annoncée fut décevante.
La prédiction suivante, pour 1978-1979, ne réserva rien de spectaculaire. En 1985, un taux visuel de 150 météores à l'heure fut rapporté, tandis que le radar révéla un taux de 700 à l'heure.
En 1992, l'essaim fut uniquement observé en radio, avec un taux de 500 météores par heure.
Un nouveau sursaut fut annoncé pour 1998. Avec le développement d'un réseau très actif d'observateurs visuels à travers le monde, couvrant la totalité de la planète, et avec l'amélioration de nombreux systèmes radio, il existait la possibilité de tracer la courbe d'activité complète de l'essaim, pour la première fois de l'Histoire !
Ce sont les observateurs asiatiques (Japon et Chine) qui ont pu bénéficier du spectacle, avec un taux d'activité de 300 à 500 météores par heure.
Le dernier sursaut en date eut lieu en 2005, et fut en grande partie inattendu. Il était probablement dû à des poussières relâchées par la comète en 1946. Le taux visuel fut de 35 météores à l'heure, mais les observations radar ont suggéré un taux d'environ 150 par heure.
Les Draconides millésime 2011
Vous le voyez, en dehors des sursauts d'activité plus ou moins prévisibles, l'essaim des Draconides est pratiquement inobservable.
Si les récits des sursauts précédents vous ont plu, sachez qu'une activité exceptionnelle doit avoir lieu cette année !
En effet, Jérémie Vaubaillon et son équipe ont travaillé sur toutes les particules éjectées par la comète 21P/Giacobini-Zinner depuis 1852 et modélisé leur évolution dans le temps. Le but était de déterminer ce qui avait pu être à l'origine des tempêtes de 1933 et 1946. Ils ont ainsi découvert que la tempête de 1933 résultait des poussières arrachées à la comète en 1900 et 1907, tandis que celle de 1946 était liée à des particules plus récentes, relâchées une douzaine d'années avant cette tempête.
Et là où les choses deviennent très intéressantes, c'est qu'en 2011, la Terre devrait passer à proximité de multiples tores de poussières relâchées à chacun des retours de la comète entre 1866 et 1907. Et plus particulièrement de ceux datant de 1900 et 1907, à l'origine de la tempête de 1933 !
Mais il existe encore de nombreuses incertitudes, expliquant les divergences entre auteurs sur les taux horaires possibles cette année. Les prévisions sont ainsi comprises entre une dizaine et 600 météores à l'heure, les plus optimistes annonçant même 750 à l'heure !
A la recherche des poussières perdues
L'observation des Draconides 2011 sera non seulement intéressante visuellement parlant, mais a un intérêt historique énorme ! Si les prévisions sont justes, l'orbite de la comète 21P/Giacobini-Zinner avant 1898 pourra en effet être reconstituée !
En effet, 21P/Giacobini-Zinner est une comète de la famille de Jupiter : elle revient donc régulièrement à proximité de cette planète, et son orbite peut être très perturbée par la géante. Nous avons déjà vu les conséquences de son approche de 1969. Or, on sait que l'orbite de la comète a été modifié en 1898 par un passage trop proche de Jupiter. La comète n'ayant été découverte qu'en 1900, la position des poussières relâchées auparavant est relativement imprécise. De plus, pour expliquer les tempêtes de 1933 et 1946, il faut que la comète ait été bien plus active par le passé qu'actuellement. Mais personne ne connaît réellement cette activité ancienne, qui n'a pu être évaluée qu'indirectement, via le flux de météoroïdes croisé par notre planète lors des deux tempêtes. Une mesure qui n'est pas exacte, à proprement parler...
Jérémie Vaubaillon indique ainsi dans Ciel & Espace : « Notre but est de mesurer l'orbite suivie par les particules cométaires qui entrent dans l'atmosphère. Celles de cet automne appartiennent à deux nuages qui ont été émis par la comète Giacobini-Zinner en 1900, année de sa découverte, et en 1887. Le premier pic d'activité de ce 8 octobre correspond au nuage de 1887. Or, nous savons que la comète a changé d'orbite en 1900 sous l'influence gravitationnelle de Jupiter qu'elle avait alors approchée. Le fait d'observer la trajectoire des particules émises avant nous renseignera sur son orbite antérieure. »
Prévisions 2011
Plusieurs spécialistes mondiaux des essaims météoriques se sont penchés sur les Draconides 2011. Voici donc les différentes prévisions émises, avec date des traînées croisées et taux attendus. Toutes concernent le 8 octobre 2011. Les heures données sont en TU, il faut donc ajouter 2 heures pour avoir l'heure légale française :
- 16h13 : 1866 (Vauxbaillon et al). ZHR de 200
- 16h29 : 1873 (Vauxbaillon et al). ZHR de 200
- 16h53 : 1880 (Vauxbaillon et al). ZHR de 200
- 17h02 : 1887 (Lyytinen). ZHR de 16
- 17h04 : 1887 (Maslov). ZHR faible
- 17h05 : 1887 (Sato et Horri). ZHR de 100
- 17h25 : 1887 (Vauxbaillon et al). ZHR de 200
- 18h06 : 1894 (Maslov). ZHR de 8
- 18h45 : 1894 (Vauxbaillon et al). ZHR de 200
- 19h04 : 1880 (Sato et Horri). ZHR de 100
- 19h26 : 1907 (Vauxbaillon et al). ZHR de 600
- 19h59 : 1907 (Sato et Horri). ZHR de 500
- 20h01 : 1900 (Vauxbaillon et al). ZHR de 600
- 20h12 : 1900 (Lyytinen). ZHR de 150
- 20h13 : 1900 (Maslov). ZHR de 40 à 50
- 20h36 : 1900 (Sato et Horri). ZHR de 500
Vous le voyez, horaires et taux horaires divergent quelque peu selon les auteurs. Quelle sera vraiment l'ampleur de ce sursaut ? Il n'y a qu'un moyen de le savoir, c'est d'observer !
Observer visuellement les Draconides
Les meilleurs endroits pour observer cette pluie annoncée seront l'Europe et la pointe Nord-Ouest de l'Afrique. Les observateurs situés le plus à l'Est pourront vérifier l'activité des traînées de 1897 et 1894 des Draconides plusieurs heures avant le pic principal.
Ce dernier avantage l'Europe de l'Ouest et le centre de l'Océan Atlantique. Les observateurs français seront ainsi bien placés pour observer les flux de 1907 et de 1900.
L'observation des étoiles filantes ne nécessitent aucun instrument particulier, l'oeil nu suffit. Mais la station debout étant vite fatiguante, privilégiez l'emploi d'une chaise-longue. Et prévoyez des vêtements très chauds, car non seulement les nuits sont fraîches, mais en plus l'inaction a une fâcheuse tendance à refroidir le corps.
Gardez-vous des lumières parasites : phares de voiture, lampadaires. Une observation en pleine campagne, avec horizon dégagé ou presque, est un plus !
Cependant, même avec les meilleures volontés du monde, vous ne pourrez pas éviter une source lumineuse gênante, ennemie des observateurs d'étoiles filantes : la Lune. Notre satellite naturel, en phase gibbeuse, sera illuminé à 90%, quatre jours avant la Pleine Lune. Elle surplombera l'hoizon Sud-Est d'une trentaine de degrés.
Pour bien observer les Draconides, il faut donc à la fois ne pas regarder vers la Lune (sous peine d'être ébloui), ni regarder directement le radiant (d'où semblent venir les étoiles filantes). Ce dernier est situé dans la tête du Dragon, au Nord de l'étoile Rastaban (bêta Draconis). Il domine l'horizon Nord-Ouest de plus de 50°. Pour la France métropolitaine (et latitudes identiques), il est circumpolaire, ce qui signifie qu'il est visible toute la nuit, et que donc, en théorie, les Draconides aussi. Cependant, il est préférable de les observer quand le radiant est haut dans le ciel, c'est-à-dire en première partie de nuit. Et ça tombe très bien, car le pic d'activité y est prévu.
Mais où porter le regard ? Il est en général préconisé de centrer son champ de vision à 40-60° du radiant, et 60-80° de hauteur. Les régions autour des constellations de Céphée/Cassiopée et de la Lyre/Hercule sont un bon compromis. L'astuce est aussi de tourner le dos à la Lune (dans ce cas, on privilégiera la zone Lyre/Hercule) ou de s'abriter de la lumière lunaire à l'aide d'un mur ou d'un arbre.
La Lune sera certainement une gêne : elle va illuminer fortement le ciel, gommant les étoiles filantes les plus faibles. Ne vous étonnez donc pas si vous n'arrivez à observer 600 étoiles filantes par heure (soit dix à la minute).
Mais ne perdez pas espoir : il est probable que de nombreuses étoiles filantes brillantes strient le ciel. On peut aussi compter sur la présence de quelques bolides très lumineux et colorés !
Les Draconides sont très faciles à identifier : non seulement elles semblent venir de la tête du Dragon, mais en plus elles sont généralement jaunes, et surtout très lentes ! 20 km/s « seulement », à comparer aux 59 km/s des classiques Perséides du mois d'août.
Bibliographie et liens utiles
Vous souhaitez en savoir encore plus sur le sujet. Je vous conseille la biographie suivante (non exhaustive), que j'ai utilisé pour écrire ce sujet :
- L'indispensable page Les Draconides en 2011 sur PGJ Astronomie : http://pgj.pagesperso-orange.fr/11-draconides.htm
- Les Draconides 2011 sur le site de l'IMCCE : http://www.imcce.fr/langues/fr/ephemerides/phenomenes/meteor/DATABASE/Draconids/2011/index.php
- Les pépites des Draconides, in Le Ciel à l'oeil nu en 2011 de Guillaume Cannat, page 113
- Les Draconides en 2011, in Le Guide du Ciel 2011-2012 de Guillaume Cannat, page 187.
- Alerte aux étoiles filantes! d'Emmanuel Beaudoin, Ciel & Espace n°497 (octobre 2011), pages 10 à 14.
- Le Dragon aux flèches de feu de Karl Antier, Astronomie Magazine n°138 (octobre 2011), pages 22 à 27.
Des questions ? Des remarques ? Des observations ? Ce fil est fait pour vous !
En effet, les grands spécialistes mondiaux des essaims météoriques annoncent une activité exceptionnelle de l'essaim des Draconides dans la nuit du 8 au 9 octobre. Et fait exceptionnel : l'Europe est particulièrement bien située pour observer le phénomène ! La Lune sera quelque peu gênante, mais en prenant quelques précautions, nous pourrons nous affranchir quelque peu de sa lumière parasite.
Les Draconides, qu'est ce que c'est?
Demandez à quelqu'un de vous citer un nom d'essaim d'étoiles filantes. Il y a fort à parier que le premier nom à venir sera « Perséides » (les étoiles filantes du mois d'août, dont beaucoup pensent qu'il s'agit des seules étoiles filantes visibles durant l'année). Si vous avez affaire avec quelqu'un d'un peu plus chevronné, les termes de « Léonides » et « Géminides » viendront. Mais par contre, « Draconides »...
Et c'est bien normal que cet essaim soit très peu connu du grand public : le taux maximum habituel dépasse péniblement une ou deux étoiles filantes à l'heure, en période d'activité. Autant dire absolument rien de remarquable.
Sauf que cet essaim connaît quelquefois des sursauts d'activité très importants, avec de véritables tempêtes d'étoiles filantes à la clef, marquant les esprits. Ce sera presque le cas cette année.
Les Draconides, comme leur nom l'indique, semblent provenir de la constellation du Dragon. Leur corps-parent est la comète 21P/Giacobini-Zinner, une comète périodique passant tous les 6,6 ans, découverte en 1900 par Michel Giacobini, et redécouverte en 1913 par Ernst Zinner. Cela explique une particularité de cet essaim : il est le seul à posséder un deuxième nom ! En effet, les Draconides sont parfois appelées Giacobinides. Une exception à la règle qui veut que les essaims d'étoiles filantes portent le nom de la constellation où se situe leur radiant.
En 1915, le révérend M. Davidson, cherchant à associer des comètes à courte période à d'éventuels essaims météoriques, découvre que 21P/Giacobini-Zinner correspond aux critères qu'il recherche. En effet, l'orbite de la comète était assez proche de la Terre le 10 octobre 1915, et prédit que si les débris de cette comète s'étaient propagés vers l'extérieur d'environ trois millions de km, un nouvel essaim ayant radiant dans le Dragon pourrait être actif. Prédiction vérifiée par William Denning, qui a enregistré un certain nombre de météores semblant provenir du Dragon durant la première moitié d'octobre 1915.
Davidson révisa sa prévision en 1920, principalement en raison d'une erreur trouvée dans sa prédiction antérieure, suggérant que le maximum devrait très probablement se produire le 9 octobre. Une prévision qui s'avéra encore une fois exacte, avec quelques météores observés, et décrits comme lents.
L'existence de l'essaim des Draconides était ainsi établie.
Ainsi, chaque année, du 6 au 10 octobre, notre planète croise le sillage de la comète 21P/Giacobini-Zinner.
Sursauts et tempêtes à travers le temps
1926 fut une année particulière pour les Draconides. 21P/Giacobini-Zinner devait en effet passer au périhélie (point de son orbite le plus proche du Soleil) à la fin de l'année, et les orbites de la comète et de la Terre devaient se croiser 70 jours avant, soit le 10 octobre. Une telle proximité dans l'espace et dans le temps ont permis à Davidson et A. C. D. Crommelin d'annoncer une belle pluie d'étoiles filantes pour le 10 octobre.
La nuit du 9 au 10 octobre 1926 a en effet été marqué pour une activité inhabituelle (mais prévisible) de l'essaim. Cette nuit fut marquée par l'apparition d'une « boule de feu » (un bolide), vu par des centaines d'observateurs dans les îles britanniques. Le météore se déplaçait lentement et a illuminé le ciel. Mieux : une traînée persistante a duré environ 30 minutes, « durant lesquelles elle a subi de curieux changements de forme et montré une dérive parmi les étoiles ».
L'enthousiasme pour cet essaim retomba bien vite. Durant la période 1927-1932, quelques observateurs ont essayé d'entrevoir l'essaim des Draconides, hélas, sans succès. Aucune activité ne fut détectée.
Après son passage de 1926, 21P/Giacobini-Zinner repassa au périhélie le 15 juillet 1933. Environ 80 jours plus tard, le 9 octobre, la Terre traversa le secteur du nœud ascendant de la comète. Avec six années de vaches maigres, les astronomes n'étaient pas préparés à ce qui allait se passer. Lorsque la nuit tomba sur l'Europe en cette soirée du 9 octobre, le nombre de Draconides monta en flèche en seulement quelques heures, et à 20h00 TU, l'un des plus beaux spectacles astronomiques du 20ème siècle eut lieu.
En Irlande, W. Ellison, astronome de l'observatoire Armagh rapporta que les météores tombaient aussi souvent que des flocons de neige ! Toujours en Irlande, W. Milligan rapporta avoir vu des milliers d'étoiles filantes, dont 100 pendant un intervalle de 5 secondes ! A Malte, R. Forbes-Bentley observa plus de 22 500 (oui oui!) météores en seulement quelques heures, et estima un taux d'activité maximum atteignant 480 par minute (!) à 20h15 TU. D'autres observateurs, notamment en URSS et en Espagne, estimèrent le taux à une centaine d'étoiles filantes à la minute.
On a ainsi pu estimer que le taux de Draconides en 1933 a atteint les 6000 météores par heure, une véritable tempête ! Les météores étaient lents, en général faibles, et généralement de couleur jaune.
A la suite de cet événement exceptionnel, les Draconides sont redevenues inexistantes. Rien ne fut observé jusqu'en 1945, mais les prévisions allaient bon train pour 1946, car 21P/Giacobini-Zinner devait passer au périhélie le 18 septembre, et la Terre devait traverser l'orbite de la comète seulement deux semaines après la comète !
Ce sont les observateurs situés en Amérique qui étaient bien placés, car pour les Européens, le radiant était trop bas sur l'horizon. Bien que spectaculaire, l'activité fut bien moindre que ce qui fut observé en Amérique.
Le bilan des observations ont montré une activité comprise entre 3000 et 12 000 météores par heure.
1946 marque également une étape importante pour l'astronomie des météores : l'utilisation du radar pour la détection ! Non seulement la technique s'avéra très pratique, mais en plus, l'activité de l'essaim fut telle qu'une ionosphère temporaire se forma à une altitude de 90 km ! Une ionosphère météorique qui dura seulement trois heures.
Les amateurs de bolides noteront que le 10 octobre à 3h38 TU, une grande boule de feu de couleur blanc-bleuté fut observée en Californie. Elle laissa une traînée jaune qui perdura plus de trois minutes. Elle dériva et pris la forme d'un fer à cheval.
Après 1946, et durant plusieurs années consécutives, les techniques visuelles et radio n'ont pas permis de détecter la moindre Draconide.
Une pluie d'étoiles filantes possible était prévue pour le 9 octobre 1952. Les observations visuelles se révélèrent décevantes, avec seulement une activité minimum peu après le coucher du Soleil. Mais les observations radar, faites de jour, quelques heures plus tôt, ont montré une activité de 250 météores par heure.
Malgré des prévisions optimistes pour 1959 et 1966, rien ne fut observé : l'orbite de la comète avait légèrement changée, l'amenant plus près du Soleil. Les conditions géométriques étant défavorables, aucune pluie ne pouvait plus être observée.
Mais c'était sans compter sur un coup de pouce de Jupiter ! Le 23 septembre 1969, 21P/Giacobini-Zinner passa à seulement 0,5769 Unité Astronomique (86 millions de km) de la planète géante, ce qui a eu pour conséquence d'augmenter sa distance au périhélie, à 0,99 UA (c'est très proche de l'orbite de la Terre).
Les prévisions étaient très optimistes pour 1972, mais malheureusement, la douche annoncée fut décevante.
La prédiction suivante, pour 1978-1979, ne réserva rien de spectaculaire. En 1985, un taux visuel de 150 météores à l'heure fut rapporté, tandis que le radar révéla un taux de 700 à l'heure.
En 1992, l'essaim fut uniquement observé en radio, avec un taux de 500 météores par heure.
Un nouveau sursaut fut annoncé pour 1998. Avec le développement d'un réseau très actif d'observateurs visuels à travers le monde, couvrant la totalité de la planète, et avec l'amélioration de nombreux systèmes radio, il existait la possibilité de tracer la courbe d'activité complète de l'essaim, pour la première fois de l'Histoire !
Ce sont les observateurs asiatiques (Japon et Chine) qui ont pu bénéficier du spectacle, avec un taux d'activité de 300 à 500 météores par heure.
Le dernier sursaut en date eut lieu en 2005, et fut en grande partie inattendu. Il était probablement dû à des poussières relâchées par la comète en 1946. Le taux visuel fut de 35 météores à l'heure, mais les observations radar ont suggéré un taux d'environ 150 par heure.
Les Draconides millésime 2011
Vous le voyez, en dehors des sursauts d'activité plus ou moins prévisibles, l'essaim des Draconides est pratiquement inobservable.
Si les récits des sursauts précédents vous ont plu, sachez qu'une activité exceptionnelle doit avoir lieu cette année !
En effet, Jérémie Vaubaillon et son équipe ont travaillé sur toutes les particules éjectées par la comète 21P/Giacobini-Zinner depuis 1852 et modélisé leur évolution dans le temps. Le but était de déterminer ce qui avait pu être à l'origine des tempêtes de 1933 et 1946. Ils ont ainsi découvert que la tempête de 1933 résultait des poussières arrachées à la comète en 1900 et 1907, tandis que celle de 1946 était liée à des particules plus récentes, relâchées une douzaine d'années avant cette tempête.
Et là où les choses deviennent très intéressantes, c'est qu'en 2011, la Terre devrait passer à proximité de multiples tores de poussières relâchées à chacun des retours de la comète entre 1866 et 1907. Et plus particulièrement de ceux datant de 1900 et 1907, à l'origine de la tempête de 1933 !
Mais il existe encore de nombreuses incertitudes, expliquant les divergences entre auteurs sur les taux horaires possibles cette année. Les prévisions sont ainsi comprises entre une dizaine et 600 météores à l'heure, les plus optimistes annonçant même 750 à l'heure !
A la recherche des poussières perdues
L'observation des Draconides 2011 sera non seulement intéressante visuellement parlant, mais a un intérêt historique énorme ! Si les prévisions sont justes, l'orbite de la comète 21P/Giacobini-Zinner avant 1898 pourra en effet être reconstituée !
En effet, 21P/Giacobini-Zinner est une comète de la famille de Jupiter : elle revient donc régulièrement à proximité de cette planète, et son orbite peut être très perturbée par la géante. Nous avons déjà vu les conséquences de son approche de 1969. Or, on sait que l'orbite de la comète a été modifié en 1898 par un passage trop proche de Jupiter. La comète n'ayant été découverte qu'en 1900, la position des poussières relâchées auparavant est relativement imprécise. De plus, pour expliquer les tempêtes de 1933 et 1946, il faut que la comète ait été bien plus active par le passé qu'actuellement. Mais personne ne connaît réellement cette activité ancienne, qui n'a pu être évaluée qu'indirectement, via le flux de météoroïdes croisé par notre planète lors des deux tempêtes. Une mesure qui n'est pas exacte, à proprement parler...
Jérémie Vaubaillon indique ainsi dans Ciel & Espace : « Notre but est de mesurer l'orbite suivie par les particules cométaires qui entrent dans l'atmosphère. Celles de cet automne appartiennent à deux nuages qui ont été émis par la comète Giacobini-Zinner en 1900, année de sa découverte, et en 1887. Le premier pic d'activité de ce 8 octobre correspond au nuage de 1887. Or, nous savons que la comète a changé d'orbite en 1900 sous l'influence gravitationnelle de Jupiter qu'elle avait alors approchée. Le fait d'observer la trajectoire des particules émises avant nous renseignera sur son orbite antérieure. »
Prévisions 2011
Plusieurs spécialistes mondiaux des essaims météoriques se sont penchés sur les Draconides 2011. Voici donc les différentes prévisions émises, avec date des traînées croisées et taux attendus. Toutes concernent le 8 octobre 2011. Les heures données sont en TU, il faut donc ajouter 2 heures pour avoir l'heure légale française :
- 16h13 : 1866 (Vauxbaillon et al). ZHR de 200
- 16h29 : 1873 (Vauxbaillon et al). ZHR de 200
- 16h53 : 1880 (Vauxbaillon et al). ZHR de 200
- 17h02 : 1887 (Lyytinen). ZHR de 16
- 17h04 : 1887 (Maslov). ZHR faible
- 17h05 : 1887 (Sato et Horri). ZHR de 100
- 17h25 : 1887 (Vauxbaillon et al). ZHR de 200
- 18h06 : 1894 (Maslov). ZHR de 8
- 18h45 : 1894 (Vauxbaillon et al). ZHR de 200
- 19h04 : 1880 (Sato et Horri). ZHR de 100
- 19h26 : 1907 (Vauxbaillon et al). ZHR de 600
- 19h59 : 1907 (Sato et Horri). ZHR de 500
- 20h01 : 1900 (Vauxbaillon et al). ZHR de 600
- 20h12 : 1900 (Lyytinen). ZHR de 150
- 20h13 : 1900 (Maslov). ZHR de 40 à 50
- 20h36 : 1900 (Sato et Horri). ZHR de 500
Vous le voyez, horaires et taux horaires divergent quelque peu selon les auteurs. Quelle sera vraiment l'ampleur de ce sursaut ? Il n'y a qu'un moyen de le savoir, c'est d'observer !
Observer visuellement les Draconides
Les meilleurs endroits pour observer cette pluie annoncée seront l'Europe et la pointe Nord-Ouest de l'Afrique. Les observateurs situés le plus à l'Est pourront vérifier l'activité des traînées de 1897 et 1894 des Draconides plusieurs heures avant le pic principal.
Ce dernier avantage l'Europe de l'Ouest et le centre de l'Océan Atlantique. Les observateurs français seront ainsi bien placés pour observer les flux de 1907 et de 1900.
L'observation des étoiles filantes ne nécessitent aucun instrument particulier, l'oeil nu suffit. Mais la station debout étant vite fatiguante, privilégiez l'emploi d'une chaise-longue. Et prévoyez des vêtements très chauds, car non seulement les nuits sont fraîches, mais en plus l'inaction a une fâcheuse tendance à refroidir le corps.
Gardez-vous des lumières parasites : phares de voiture, lampadaires. Une observation en pleine campagne, avec horizon dégagé ou presque, est un plus !
Cependant, même avec les meilleures volontés du monde, vous ne pourrez pas éviter une source lumineuse gênante, ennemie des observateurs d'étoiles filantes : la Lune. Notre satellite naturel, en phase gibbeuse, sera illuminé à 90%, quatre jours avant la Pleine Lune. Elle surplombera l'hoizon Sud-Est d'une trentaine de degrés.
Pour bien observer les Draconides, il faut donc à la fois ne pas regarder vers la Lune (sous peine d'être ébloui), ni regarder directement le radiant (d'où semblent venir les étoiles filantes). Ce dernier est situé dans la tête du Dragon, au Nord de l'étoile Rastaban (bêta Draconis). Il domine l'horizon Nord-Ouest de plus de 50°. Pour la France métropolitaine (et latitudes identiques), il est circumpolaire, ce qui signifie qu'il est visible toute la nuit, et que donc, en théorie, les Draconides aussi. Cependant, il est préférable de les observer quand le radiant est haut dans le ciel, c'est-à-dire en première partie de nuit. Et ça tombe très bien, car le pic d'activité y est prévu.
Mais où porter le regard ? Il est en général préconisé de centrer son champ de vision à 40-60° du radiant, et 60-80° de hauteur. Les régions autour des constellations de Céphée/Cassiopée et de la Lyre/Hercule sont un bon compromis. L'astuce est aussi de tourner le dos à la Lune (dans ce cas, on privilégiera la zone Lyre/Hercule) ou de s'abriter de la lumière lunaire à l'aide d'un mur ou d'un arbre.
La Lune sera certainement une gêne : elle va illuminer fortement le ciel, gommant les étoiles filantes les plus faibles. Ne vous étonnez donc pas si vous n'arrivez à observer 600 étoiles filantes par heure (soit dix à la minute).
Mais ne perdez pas espoir : il est probable que de nombreuses étoiles filantes brillantes strient le ciel. On peut aussi compter sur la présence de quelques bolides très lumineux et colorés !
Les Draconides sont très faciles à identifier : non seulement elles semblent venir de la tête du Dragon, mais en plus elles sont généralement jaunes, et surtout très lentes ! 20 km/s « seulement », à comparer aux 59 km/s des classiques Perséides du mois d'août.
Bibliographie et liens utiles
Vous souhaitez en savoir encore plus sur le sujet. Je vous conseille la biographie suivante (non exhaustive), que j'ai utilisé pour écrire ce sujet :
- L'indispensable page Les Draconides en 2011 sur PGJ Astronomie : http://pgj.pagesperso-orange.fr/11-draconides.htm
- Les Draconides 2011 sur le site de l'IMCCE : http://www.imcce.fr/langues/fr/ephemerides/phenomenes/meteor/DATABASE/Draconids/2011/index.php
- Les pépites des Draconides, in Le Ciel à l'oeil nu en 2011 de Guillaume Cannat, page 113
- Les Draconides en 2011, in Le Guide du Ciel 2011-2012 de Guillaume Cannat, page 187.
- Alerte aux étoiles filantes! d'Emmanuel Beaudoin, Ciel & Espace n°497 (octobre 2011), pages 10 à 14.
- Le Dragon aux flèches de feu de Karl Antier, Astronomie Magazine n°138 (octobre 2011), pages 22 à 27.
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