Et ben tu devrais. Je te recommande n'importe lequel. Les Gilles Novak par exemple.
LA RÉVOLUTION KARIVEN
En fait de virage c’est plutôt de croisement qu’il faut parler : celui de la SF et de la passion de Jimmy Guieu pour l’Étrange et les ovnis. Quand il met un point final aux insipides aventures de Jerry Barclay début 1953, il est déjà engagé dans l’ufologie. Il est membre de la direction de la Commission Ouranos, le premier groupe privé d’étude des ovnis français, fondé deux ans plus tôt par l’avocat Marc Thirouin et il s’active déjà dans les médias provençaux pour y défendre la réalité du phénomène.
Jimmy Guieu a alors l’idée de créer un personnage qui, comme lui, est un chasseur de mystères. C’est ainsi que, à l’automne 1953 apparait dans La Dimension X (#27) l’archéologue Jean Kariven. Celui-ci sera le héros des neuf « Anticipation » suivants de l’auteur, jusqu’à Nos ancêtres de l’avenir (#62) début 1956, avant de réapparaître une dernière fois dans Prisonniers du passé (#72). Jean Kariven se retrouve confronté aussi bien à des extraterrestres se disputant la Terre, et pilotant évidemment les « soucoupes volantes », qu’à nombre d’énigmes relevant de l’occultisme, des civilisations disparues et d’autres phénomènes inexpliqués.
Jean Kariven « colle » à son créateur qui, de son côté, devient à partir de 1954 un des animateurs de la scène ufologique en France suite à la parution de son livre Les soucoupes volantes viennent d’un autre monde, juste avant la grande vague d’apparitions d’ovnis sur la France à l’automne de la même année qui va défrayer la chronique. La traduction en Angleterre de cet essai en 1956 sous le titre de Flying Saucers come from Another World va même faire de lui un personnage d’envergure internationale. Pour L’homme de l’espace (#45), premier volet des aventures de Jean Kariven avec les ET, Jimmy Guieu reçoit le Grand Prix du Roman de Science Fiction 1954, une récompense taillée sur mesure pour les auteurs de la collection mais dont il saura tirer le maximum dans l’avenir pour la promotion de ses activités.
Animant une émission sur Radio Monte Carlo et écrivant dans la presse marseillaise, il traverse donc l’année 1955 en compagnie d’un Jean Kariven qui s’impose auprès des lecteurs. En 1956, il publie son second « classique » sur les ovnis, Black-Out sur les soucoupes volantes, préfacé par Jean Cocteau en personne. Mais, après dix romans à la suite, il fait une infidélité à Jean Kariven en créant le personnage de Ted Erikson, un journaliste américain qui sera le héros de seulement deux romans secondaires, Les monstres du néant (#70) et Les êtres de feu (#80). Ceci signe la fin de la première grande époque de la carrière de Jimmy Guieu.
GILLES « JIMMY GUIEU » NOVAK
Le Jimmy Guieu qui réapparait en 1967 n’est plus tout à fait celui qui avait disparu en 1964. Le style n’a pas changé mais la thématique si. L’intérêt profond de l’auteur pour les doctrines ésotériques comme celles de la Kabbale, des Rose-Croix ou des Templiers qu’on avait pu voir déjà transparaître dans son dernier « Claude Vauzière » mais aussi dans L’äge noir de la Terre (#212), se met alors à imprégner les romans de sa nouvelle série, les aventures de Gilles Novak, qui a débuté avec Le retour des Dieux. Si le journaliste Gilles Novak est, comme l’archéologue Jean Kariven, un chasseur de mystère, c’est aussi un spécialiste de l’occultisme et de l’ésotérisme.
La ressemblance entre les deux personnages, outre qu’ils sont chacun une sorte de projection littéraire de l’auteur, s’arrête-là. À la différence de son prédécessur, Gilles Novak a une mission à accomplir pour le bien de l’Humanité car le sort de celle-ci se joue entre des partis d’extraterrestres alliés et hostiles. Les racines de ce combat plongent loin dans l’histoire, on en retrouve la trace dans les grandes traditions religieuses mais aussi occultes et sa manifestation la plus récente sont ces ovnis qui continuent à circuler impunément dans nos cieux depuis 1947. Enfin, en faisant entrer, tout en le signalant aux lecteurs, un certain nombre de ses amis connus ou non du milieu du paranormal comme personnages secondaires récurrents des Gilles Novak, Jimmy Guieu accentue encore le côté « roman vérité » ainsi que sa symbiose avec son héros.
Bien meilleur que Le retour des dieux, c’est Les sept sceaux du cosmos (#343) qui lance vraiment la série. Dix-neuf autres titres suivront jusqu’en 1984. Le dernier, Les fils du serpent (#1273), séparé par plus de trois ans du précédent, La clé du mandala (#982), annonce un changement de cap qui se concrétisera, on le verra plus loin, par la création des « Chevaliers de Lumière ». De toute évidence, la lecture des trois épisodes précédents, Yeux de l’épouvante (#851), de Hieroush, la planète promise (#941) et de La clé du mandala, montrait que l’inspiration de Jimmy Guieu était en train de s’épuiser dans le cadre de la série telle qu’elle était.
Cette fatigue graduelle, elle apparaît nettement plus vite dans l’autre série qui monopolise l’activité de l’auteur depuis 1968, à savoir les nouveaux Blade & Baker qui, passés les deux premiers Joklun N’Ghar la maudite (#352) et Traquenard sur Kenndor (#395), deviennent de plus en plus routiniers et répétitifs. Peut-être Jimmy Guieu aurait-il du continuer à écrire, pour se changer les idées, des romans indépendants après la parution de L’Arche du Temps (#407) en 1970. Ce livre, ainsi que ses deux prédécesseurs, Refuge cosmique (#367) et le très « novakien » Demain l’Apocalypse (#402), montrent en effet que ces digressions avaient vraiment du bon...
OMBRE AU TABLEAU
Dans l’ensemble, donc, tirée par la locomotive Gilles Novak, la nouvelle phase de l’œuvre de Jimmy Guieu au Fleuve Noir « Anticipation » se déroule plutôt bien jusqu’en 1975. Mais cette bonne santé sur le plan de la SF dissimule un sérieux problème du côté des essais sur les ovnis et le Paranormal.
Combien de fois ai-je entendu dans les années 1970, après l’avoir évidemment posée moi-même, la sempiternelle question : « Mais pourquoi ne publiez-vous plus d’autres livres comme Les soucoupes volantes viennent d’un autre monde ? » Ce à quoi Jimmy Guieu rétorquait qu’il trouvait plus efficace de faire passer ses recherches dans une trame de SF, que cela touchait un public plus large. Et, à partir de 1973, il put ajouter qu’il avait publié Le livre du paranormal, et que la question devenait donc sans objet. La réalité était bien différente. En fait, aussi incroyable que cela puisse paraître, Jimmy Guieu a complètement raté le boom éditorial qui, en gros, de 1965 à 1975, a concerné l’Étrange sous toutes ses formes.
C’était une époque où un auteur inconnu pouvait raisonnablement espérer vendre 50.000 ex. en grand format sous les couvertures de collections telles que « Les Énigmes de l’Univers » de chez Laffont ou « Les Chemins de l’Impossible » de chez Albin-Michel, ceci sans parler de maisons moins prestigieuses comme De Vecchi mais qui avaient leur public.
Or, que va-t-il se passer ? Par un mystère qui reste encore à éclaircir, le Fleuve Noir n’est pas intéressé par une réédition des deux essais devenus introuvables de Jimmy Guieu sur les soucoupes volantes. Manque d’à-propos de l’éditeur ou conditions financières jugées insuffisantes par l’auteur, impossible de trancher car les deux hypothèses sont tout aussi plausibles l’une que l’autre. Toujours est-il que Jimmy Guieu reprend donc ses droits pour essayer vendre ses livres ailleurs. Ceux-ci étant des rééditions, les collections de chez Laffont et Albin-Michel qui ne publient que de l’inédit sont fatalement à écarter.