Opération double SAROS à Montmorillon (86)
L'observation de 1977
Le vendredi 18 novembre 1977, M. et Mme B., un couple de Montmorillon, passent la soirée chez des amis à La Trimouille, à une quinzaine de km plus à l'Est. A 1h05 du matin (le 19 novembre donc), le couple B. regagne son domicile, en empruntant la D727. Alors qu'ils arrivent à une cinquantaine de mètres du carrefour D727/D33, ils aperçoivent face à eux, légèrement sur la droite, une boule de couleur rouge-orangée. Le conducteur freine, car cette boule semble grossir et se rapprocher du véhicule. Prenant peur et pour éviter que l'objet vienne heurter son véhicule, M B. change d'itinéraire et emprunte la D33 en direction du village de Journet.
La boule lumineuse, dont la partie supérieure est plate, semble alors les suivre à la même vitesse qu'eux, sur leur gauche. Pour éviter que la boule vienne sur eux, le conducteur éteignait les phares de son véhicule. En arrivant à l'ancienne gare de Journet, l'OVNI disparaît. Le couple cherche des gens pour leur signaler les faits, mais malheureusement à cette heure-ci, il n'y a personne dans les rues.
Le couple B reprend donc le chemin de leur domicile, en empruntant la D121. Rien de particulier n'est visible. Alors qu'ils arrivent au carrefour en patte d'oie D121/D727, l'OVNI réapparaît ! Toujours identique (même couleur, même forme), il semble attendre nos témoins qui foncent maintenant vers Montmorillon, qui n'est plus qu'à quelques encablures. L'OVNI suit les témoins à la même vitesse qu'eux, en restant à la même hauteur. A l'entrée de Montmorillon, les témoins sont en pleine panique et s'engagent dans l'allée menant à l'usine Dody Plast. Voyant que l'usine est éclairée, les témoins pensent aller chercher du secours mais sont trop terrifiés pour sortir du véhicule. Ils reprennent finalement la route, non sans caler, en roulant phares éteints (!) jusqu'au magasin Coop. C'est à la hauteur de ce magasin que l'OVNI s'est éloigné très vite pour disparaître.
Dans l'après-midi du 19 novembre, le couple B. avise la presse. Le journal Centre Presse publie un article en première page sur le cas le lundi 21 novembre, ce qui attire aussitôt l'attention de la brigade de gendarmerie de Montmorillon. Deux gendarmes se rendent aussitôt chez le couple B. afin de recueillir leur témoignage. Les témoins sont absents, et sont invités par convocation à se présenter à la gendarmerie. Le couple B. témoigne en début de soirée.
La presse régionale reviendra à plusieurs occasions sur le cas (il y avait une petite vague ovni locale au moment des faits), les 22 et 23 novembre, ainsi que le 5 décembre. La piste d'un hélicoptère y est évoquée.
Pendant ce temps, les gendarmes mènent des investigations sur le terrain. Aucune trace particulière n'est trouvée, mais les gendarmes remarquent que l'OVNI, lors de ses phases d'apparitions, semble se déplacer d'un transformateur électrique à un autre. Aussi, faute de mieux, l'enquête conclut à un possible phénomène électrique.
L'enquête est close le 30 décembre 1977, puis envoyée au tout jeune GEPAN, qui classe le cas en PAN B : « probable observation d'un phénomène électrique ».
Electricité ou Lune ? D'une hypothèse à l'autre
Un phénomène électrique ? Sérieusement ? Si c'en est un, il doit être très particulier, car il semble régi d'un comportement bien intelligent : il se déplace en même temps que les témoins, s'arrête quand ils s'arrêtent, et repart quand ils repartent ! Les gendarmes auront d'ailleurs noté dans leur rapport d'enquête que le phénomène est vu pendant un quart d'heure, et sur neuf kms ! Rajoutons à cela que l'OVNI est décrit comme une grosse boule rouge aplatie sur le haut... Vraiment très curieux comme phénomène électrique. Mais soit, pourquoi pas ?
Pour les ufologues habitués aux méprises astronomiques, ce cas fleure bon rien qu'à la description à une méprise avec la Lune au coucher : c'est gros, c'est rouge-orange, c'est tout le temps vu vers l'Ouest, c'est bas sur l'horizon (les témoins disent que l'OVNI est caché en cours de route par des bâtiments). Et rien qu'avec le témoignage, on peut même parier que la Lune est en phase de Premier Quartier, puisque l'OVNI est décrit comme aplati sur le dessus (ce n'est donc pas une boule bien ronde, mais un demi-cercle). Or, justement, un simple coup d'oeil sur Stellarium permet de remarquer qu'à l'heure de l'observation, la Lune en Premier Quartier est en train de se coucher, plein Ouest... Et je ne parle pas du magnifique syndrome de boule suiveuse, typique d'une méprise astronomique.
Le cas n'aura pas échappé à Eric Maillot, qui le référence dans une liste de cas de méprises potentielles avec la Lune, au début des années 1990.
En fin d'année 2012, j'inclus ce cas dans la liste des cas testables avec le Saros, car l'année 2013 marque un double cycle de 18 ans. Après demande par mail, le GEIPAN me fournit les dernières données nécessaires au début de l'année 2013.
Double Saros
Comme dit juste avant, le cas est testable au cours de l'année 2013, puisque nous sommes 36 ans (2 x 18) après les faits.
L'observation ayant lieu le 19 novembre 1977 à 1h05 du matin, cela se traduit par une Lune en Premier Quartier, âgée de 7,7 jours, située à 2,5° de hauteur angulaire et à un azimut de 259°, le tout à 20 minutes du coucher théorique de la Lune pour un horizon parfait.
Pareille configuration se retrouve dans la nuit du lundi 9 au mardi 10 décembre 2013, à 0h50. La Lune est alors à 2,4° de hauteur angulaire et à un azimut de 267°, donc légèrement à droite de la position initiale de 1977. La Lune est au Premier Quartier, et elle est âgée de 7 jours.
Il est à noter que la veille du véritable double cycle de Saros, la configuration de la Lune est encore plus intéressante à 20 minutes du coucher théorique : le dimanche 8 décembre à 23h40, le gros croissant âgé de 5 jours est en effet à 2,4° de hauteur angulaire et un azimut de 260°, soit une position collant parfaitement avec la situation de 1977.
Une reconstitution sur le terrain ne manque pas d'intérêt, bien au contraire, car les témoins sont en voiture. Au cours de leur déplacement, l'OVNI apparaît et disparaît à des endroits bien spécifiques. En théorie, si l'hypothèse de la méprise Lune est la bonne, on doit donc s'attendre à retrouver ces mêmes apparitions et disparitions au cours de la reconstitution.
Opérations sur le terrain
De par son intérêt, ce cas m'avait particulièrement interpellé dès la sélection des cas testables en 2013. Il est à noter, chose plutôt rare, que le cas se déroule chronologiquement juste après une autre méprise Lune ayant eu lieu en Alsace 25 minutes plus tôt, à Bantzenheim. Ce dernier cas est une méprise Lune avérée depuis longtemps, puisque Michel Monnerie en parle tel quel dans son livre Le Naufrage des Extraterrestres paru en 1979. Détail assez amusant : dans le cas de Bantzenheim, l'OVNI semble également se déplacer le long d'une ligne électrique...
Il y avait donc la perspective de pouvoir tester deux cas de méprises en même temps, ou deux jours de suite. Il aurait ainsi fallu deux équipes, une en Alsace et une autre dans le Poitou, ou bien s'organiser pour faire les reconstitutions en deux étapes (une nuit l'un, une nuit l'autre). Evidemment, la météo a également son mot à dire, et il faut composer avec les emplois du temps de chacun.
Dans le pire des cas, si seul l'un des deux peut être testé, Montmorillon a la priorité : son parcours le rend très intéressant, et c'est le seul des deux à ne pas être reconnu officiellement comme une méprise Lune.
Coup de chance : il se trouve que je suis en vacances au moment des dates de reconstitution, et un gros anticyclone s'installe sur le pays, offrant un ciel parfaitement dégagé sur le territoire. Cependant, mon emploi du temps ne permet pas d'aller sur le terrain dans la nuit du 8 au 9 décembre, car j'ai des choses bien plus sérieuses à faire;) . N'ayant qu'une date de disponible et les conditions météo étant excellentes dans le Poitou, je jette mon dévolu sur Montmorillon.
Départ de Soissons le lundi 9 décembre à 15h00, avec la perspective de passer au moins 5 heures sur la route. Pas de souci, j'ai largement de la marge pour arriver du côté de Poitiers. Si je pars si tôt, c'est pour éviter les bouchons parisiens liés aux sorties de bureau. Bon, finalement, ça aura quand même bouchonné sur la Francilienne...
Après quelques haltes et être passé par Orléans, Vierzon, Châteauroux et Le Blanc, j'arrive à la Trimouille, lieu de départ des témoins, à 20h15. Il fait beau, il fait froid et... il n'y a absolument personne dans les rues !
La Trimouille city plage : ses décos de Noël et son silence de mort... Il n'est que 20h37 !
Après un repas tiré du sac, je décide de repérer une première fois la route empruntée par les témoins, histoire de voir quel est l'état du terrain. En effet, même si je connais déjà virtuellement l'itinéraire depuis des semaines grâce à Street View, je peux par cette occasion « m'imprégner » du terrain en lui-même. De plus, cela me permet de prendre mes repères pour la reconstitution, où la moindre erreur d'itinéraire peut s'avérer fatale à l'opération : on est tenu par les horaires de la Lune, qui n'attend pas pour aller se coucher derrière l'horizon.
Départ de la Trimouille à 20h45.
Première constatation : la route est bordée d'un bout à l'autre d'une haie d'arbres serrés les uns contre les autres.
Deuxième constatation : pas un seul clampin croisé sur tout le parcours, et dans les villages traversés !
Troisième constatation : houla, il faudra faire attention tout à l'heure ! Car entre Journet et Montmorillon, la route traverse un petit bois où des bancs de brouillard épais sont très localisés. Et les panneaux routiers signalent tous les 100 m une traversée d'animaux.
Arrivé à Montmorillon, je trouve avec plaisir l'usine Dody Plast et même la Coop, devenue depuis le Super U. Il est 21h00. Je me gare sur le parking (désert...) du Super U pour appeler ma chère et tendre et lui donner des nouvelles. En trois quart d'heure de temps passé sur le parking, j'aurai vu en tout et pour tout 3 voitures passer. Le Poitevin n'est pas nocturne, ou alors il a horreur du froid.
A 21h45, alors que je raccroche le téléphone, une camionnette se gare doucement à côté de moi, puis fait doucement le tour du parking, tel un requin qui va attaquer : les gendarmes !!! Voulant éviter toute perspective de réponse à toute question du genre « qu'est-ce que vous faites ici ? » (et de répondre « hé bien, j'attends qu'un OVNI vienne poursuivre ma voiture tout à l'heure »...), je décide de lever le camp et d'aller patienter ailleurs. Demi-tour donc vers La Trimouille, en route directe sans passer par Journet. En chemin, je croise une biche dans un bois au bord de la route. Arrivée à 22h00 sur un petit parking à camping-car. Pour tuer le temps, je grignote en écoutant la radio.
A 22h45, je décide de refaire une nouvelle fois l'itinéraire des témoins, cette fois ci pour chronométrer l'itinéraire. J'arrive à Montmorillon à 23h00 tout pile. Ayant du temps devant moi, je décide de m'enfoncer plus avant dans la ville, car pour l'itinéraire de retour, j'ai prévu de reprendre l'autoroute à Poitiers. Je passe le pont sur la Gartempe et arrive à la sortie Ouest de la ville, où je me gare sur un parking d'usine pas très loin de la gendarmerie pour patienter. Pourvu que mes « amis » de tout à l'heure ne refassent pas une sortie, sinon ils vont vraiment se poser des questions.
23h30 : retour sur le petit parking de la Trimouille, afin d'être prêt pour la reconstitution. Ayant imprimé le PV de gendarmerie, j'en profite pour le relire en entier afin d'avoir tous les éléments de l'observation en tête lors de la reconstitution. A 0h00, l'éclairage public se coupe et me voilà plongé dans le noir, avec plein d'étoiles au-dessus de la tête. C'est qu'il fait très beau dehors ! Montmorillon, c'est par là !
L'heure de la reconstitution est prévue à 0h50, mais je commence à me mettre en route à 0h40. Je pars en effet un peu plus tôt, car j'ai prévu de rouler doucement afin de ne pas rater de détail intéressant et de faire des arrêts photo. Les témoins, eux, fonçaient car ils étaient paniqués.
0h40 : me voilà devant le panneau de sortie de La Trimouille. La Lune n'est pas visible.
Adios La Trimouille ! Ce village est-il habité ? (je n'y ai croisé personne)
A peine sorti du village, j'aperçois le quartier de Lune posé sur l'horizon, à ma droite. Etant parti plus tôt, la Lune est en effet un peu plus haute qu'en 1977 : 4° de hauteur angulaire. A quelques minutes près, je ne la voyais pas.
0h43 : après un virage à droite, juste avant le lieu-dit Asnières, « vision d'horreur » : l'OVNI Lune est posé en haut de côte, il me barre la route !
3,5° de hauteur angulaire les enfants
Un truc pareil en plein milieu de la route, c'est l'idéal en ufologie pour effrayer les témoins
Il est à noter qu'ici, la Lune est à 7° plus à droite qu'en 1977, ce qui signifie que lors de l'observation, la Lune était masquée par les arbres bordant la route et/ou le relief (je suis parti plus tôt, je vous le rappelle).
La Lune est ensuite bien visible sur le bas-côté droit de la route jusqu'au carrefour de la D33. J'en profite pour faire une vidéo à l'arrache d'une boule suiveuse.
0h45 : j'arrive à l'endroit fatidique du carrefour D727/D33 où les témoins ont découvert l'OVNI. La Lune est bien visible, basse sur l'horizon.
« arrivé à une cinquantaine de mètres du carrefour formé par les C.D. 727 et 33, en face de moi, légèrement à ma droite, j'ai aperçu une boule de couleur rouge-orangée, pouvant se rapprocher à un coucher de soleil »
« elle s'est stabilisée quelques secondes à une hauteur de un mètre cinquante, (1, 50 m.) du sol dans un champ ou une prairie situé sur le côté droit de mon sens de circulation et bordant les C.D 727 et 33, après le carrefour »
Ca c'est très chic : je retrouve exactement la description des témoins !
Changement donc de direction, vers Journet via la D33. La Lune est toujours visible et ce, du côté gauche de la route. Soit exactement ce que disent les témoins !
« Il s'agissait d'une sorte de boule, dont la partie supérieure était plate »
J'arrive à l'entrée de Journet à 0h50. La Lune est très vite masquée par les premières maisons. Mais au fait, que disait le conducteur déjà ? Ha oui : « nous avons perdu de vue la boule à la hauteur de la gare de JOURNET, je n'ai pas eu l'impression qu'elle avait disparu définitivement, car elle a dû être masquée par les bâtiments du bourg ».
Journet, en pleine nuit...
Bon là c'est un peu sombre, mais c'est l'ancienne gare de Journet
La route continue par la D121. Je retrouve par intermittence la Lune dès la sortie de Journet, côté droit de la route. Je dis par intermittence, car la Lune fait cache-cache avec l'horizon. Il est 0h52, la Lune est à 2° de hauteur angulaire. Sachant que j'ai une petite dizaine de minutes d'avance sur l'horaire des témoins, la Lune était donc masquée par le relief quand ils sont passés.
Je continue encore un peu et arrive à la fameuse patte d'oie D121/D727 à 0h56. Qui retrouve-t-on sur le bas-côté de la route ?
« Arrivés à la patte d'oie, elle a réapparu de la même façon que la première fois »
Ensuite, la route file en ligne droite vers Montmorillon. La Lune est juste sur la droite, et « avance » à la même vitesse que moi. Boule suiveuse !!!
0h59 : Lune à 0,9° de hauteur angulaire. Sauras-tu trouver l'OVNI sur la photo ?
« Elle était de couleur rouge orangé »
A 1h01, j'arrive à l'entrée de Montmorillon, juste au niveau de l'usine Dody Plast, où je perds de vue la Lune, masquée par les bâtiments.
Welcome à Montmorillon
Je ne parviens pas à revoir la Lune par la suite.
Continuant sur ma lancée, je file vers Poitiers pour y prendre l'autoroute, non sans mal avec tous les travaux. Châtellerault, Tours, Blois, Orléans... Je profite de quelques aires d'autoroutes pour me reposer un peu, j'en ai bien besoin. « Bonheur total », je me tape le passage de la Francilienne juste avant 8h00, en plein dans les horaires de bureaux des Parisiens, et j'arrive finalement chez moi à 9h00. Ouf !
Conclusion
Succès total pour l'Opération double Saros, car la Lune était parfaitement visible dans les secteurs où l'OVNI a été vu, et flirtait avec l'horizon là où l'OVNI était invisible. Sachant que j'avais un peu d'avance par rapport aux témoins, cela signifie que la Lune était masquée par le relief, de leur point de vue.
Les descriptions fournies par les témoins collent parfaitement avec ce que j'ai pu observer (forme, couleur, direction, sens de déplacement apparent).
L'hypothèse d'une méprise avec la Lune, dès le départ très probable au vu des éléments fournis, s'avère donc parfaitement correcte et validée. L'hypothèse plus qu'hasardeuse d'un phénomène électrique d'un type inconnu peut donc être abandonnée.