Ma thèse est que l’événement qui capte le plus l’attention dans un récit direct d’un événement extraterrestre vécu est la soustraction à la perception – que je nommerai « imperception » – d’une chose qui s’était auparavant présentée de manière énigmatique. Cette imperception renforce l’énigme au sens où, comme l’entend Luc Boltanski, elle est « une singularité ayant un caractère que l’on peut qualifier d’anormal, qui tranche avec la façon dont les choses se présentent dans des conditions supposées normales, en sorte que l’esprit ne parvient pas à inscrire cette inquiétante étrangeté dans le champ de la réalité13 ». Cette thèse inverse celle qui consiste à mettre l’accent sur « l’apparition », sans prêter attention au fait que l’événement qui frappe le plus, et qui est positionné comme tel dans les récits, est, au contraire, celui de la « disparition », c’est-à-dire plus exactement de la soustraction aux sens, et notamment à la vue.
L’imperception d’une chose énigmatique repérée dans le ciel est un seul événement, dépeint comme soudain, qui clôture la succession des événements vécus. Dans les cas, très minoritaires, où la chose repérée se présente sous forme de traces au sol, la soustraction à la vue est dédoublée : la cause de ces traces est attribuée à une chose qui les a produites et qui n’est plus là, sur laquelle va peser un soupçon extraterrestre, mais les traces aussi peuvent s’estomper et ne plus être.
Si la chose ne devenait pas brusquement imperceptible, si elle persistait jusqu’à l’évaporation de tout soupçon enrobant son être, alors le mystère du récit serait dissipé. L’effet stupéfiant produit par l’imperception est tel qu’il donne l’impression que la personne est « folle », n’est pas dans un état « normal » et, d’une manière générale, que l’événement rapporté n’est pas crédible. C’est pourquoi, juste après, le témoin se présente souvent brièvement comme une personne digne de crédibilité, mettant en avant sa situation professionnelle, ou le fait qu’il n’a auparavant jamais été témoin d’un tel événement, ou encore qu’il ne pense pas qu’une vie extraterrestre puisse exister.
Hum, oui, si l'observation de l'ovni "persistait jusqu’à l’évaporation de tout soupçon enrobant son être, alors le mystère du récit serait dissipé"... et la chose en question pourrait accessoirement être qualifiée d'ovi (objet volant identifié). Quelle découverte inédite !
Sinon, affirmer que l’événement qui frappe le plus les témoins est la disparition du phénomène observé (thèse présentée par l'auteur comme sa grande découverte, son apport à la connaissance scientifique du sujet) apparaît plutôt contestable. Par exemple, est-ce le cas dans la fameuse observation de masse du 5 novembre 1990 ?
Les témoins peuvent être plus frappés par la forme inhabituelle de l'engin qu'ils disent avoir vu (les soucoupes passées à la postérité du cas fondateur de 1947), par sa vitesse de déplacement, ou par l'énormité apparente du phénomène, couplée à l'absence de son, ou encore par ses trajectoires bizarres (style virage à angle droit), ses émissions lumineuses anormales (faisceaux apparemment tronqués)... La disparition brusque (aux yeux des observateurs) fait certes partie des éléments récurrents ; dans ces cas, elle contribue alors puissamment à l'étrangeté de l'expérience mais de là à en faire systématiquement le point essentiel des rapports d'observation, il y a un pas... Quand à présenter cela comme une découverte ou une thèse audacieuse et novatrice...